Dire merci

Dire merci

Tout petits, nos parents nous apprenaient déjà à dire « Merci », chaque fois que nous obtenions quelque chose. Nous le répétions parce que nous apprécions les réactions positives des adultes à notre égard et celui de nos camarades de classe et de jeux. Ainsi, nous l’avons inscrit dans nos us, en tant que formule de politesse, sans jamais trop nous demander quelle était sa véritable signification et en quoi cette pratique est considérée comme une règle essentielle du « savoir vivre ». C’est lors de mes premiers stages d’aïkido et lors de mes premières conversations avec des pratiquants aguerris, que je me suis rendu compte de la place essentielle qu’avait le fait de dire merci dans la pratique « Aïki ». C’est donc au dojo qu’est né mon étonnement face au constat que l’un des mots les plus utilisés au quotidien (j’espère) l’était sans que personne ne se demande ni pourquoi on dit Merci, ni pourquoi c’est une règle essentielle de politesse, dans la (quasi) totalité des cultures. Je ne m’étais jamais moi-même jamais demandé, non plus, quelle était l’origine de cette coutume. En réfléchissant bien, cela parait tout à fait naturel que les individus perdent la signification des mots les plus utilisés, car la banalité est le contraire de l’étonnement. Et il n’y a pas de réflexion, ni de méditation, devant la banalité. En ce sens, l’Aïkido a eu le mérite, pour moi, de faire sortir le mot « Merci » de sa banalité et à m’inciter à redonner toute l’importance à un acte qui n’a absolument rien d’anodin pour notre quotidien.

Un peu d’étymologie

Le mot français « Merci » tire son nom du latin « Merces », qui peut signifier « salaire », mais peu aussi signifier « le prix de », « service », « peine » ou « châtiment ». Autrement dit, « Merces » est une sanction, il désigne un acte qui rend compte et officialise la perception et la reconnaissance d’un acte précédent.

En dehors de son usage habituel, en français, on le retrouve aussi dans la formule « être à la merci de ». D’après le Larousse, cela signifie :

« Demander merci, se reconnaître vaincu, demander grâce. Être à la merci de, être sous la dépendance de quelqu’un, soumis à l’action de quelque chose. Tenir quelqu’un à sa merci, le tenir dans une dépendance totale. »

La merci serait donc une soumission, un abandon face à une force supérieure, se remettre à la volonté de quelqu’un. On comprend mieux pourquoi en anglais « Mercy » est le mot utilisé pour désigner la clémence. Il faut donc comprendre que pour être considéré comme « clément », il faut d’abord avoir le pouvoir ou la force d’agir sur quelqu’un et renoncer à profiter ou abuser de ce pouvoir. Il faut comprendre par là qu’il vaut mieux renoncer à avoir recours à des sanctions trop démonstratives ou cruelles, mais qu’il vaut plutôt mieux faire le choix de prendre des mesures proportionnées et bienveillantes.

https://www.youtube.com/watch?v=QGVIwRLC3bQ

Mais dans les autres langues latines, le terme employé dans l’acte de politesse est « Grazie » en italien et « Gracias » en espagnol et en portugais. « Gratia » en latin était déjà utilisé pour signifier une « reconnaissance », un « remerciement ». En français, « Gratia » a donné « Grâce », un terme essentiellement théologique. Référons-nous encore au Larousse :

« Faveur accordée à quelqu’un pour lui être agréable : Je vous demande cela comme une grâce. Remise de tout ou partie de la peine d’un condamné ou commutation de cette peine en une peine moins forte : Obtenir la grâce d’un coupable. … Don ou secours surnaturel que Dieu accorde aux hommes pour leur salut. »

Dans la traduction latine de la bible, « Gratia » est utilisé pour désigner les actes magnanimes de Dieu envers les hommes. C’est ce que les théologiens entendent par « grâce divine ». Plus que « Merces », « Gratia » renvoie à l’acte bienveillant, tandis que le premier terme est plutôt neutre, vu qu’il peut être à la fois un « salaire » (ou une récompense) et un « châtiment ». Néanmoins, il y a un point commun assez fort entre les deux termes. En effet, on retrouve dans les deux le fait de sanctionner et d’accorder une importance à un acte précédent.

Dans les langues germaniques, les mots « thanks » en anglais, « Danke » en allemand ou « Tack » dans les langues scandinaves ont évidemment la même racine. Ne pouvant détailler d’avantage la signification de cette racine, il est tout de même à noter qu’à travers « Thanks to you… » en anglais, « Danke an dich » en allemand, ou « Tack vare dig » en suédois, (Grâce à toi…) l’usage du mot est tout à fait équivalant au mot « Gratia » en latin.

De cette rapide recherche étymologique, on peut déduire que le fait de dire « merci » est une manière de signifier à autrui que l’on a perçu et que l’on est conscient ce qu’il a fait à notre égard. On lui est reconnaissant pour cela. Le fait de le lui dire établit notre redevabilité à son égard, cela peut-être considéré comme une sorte de reconnaissance de dette symbolique. D’un point de vue purement sémantique, les mots issus de « Gratia » expriment mieux que le mot français « Merci » la bienveillance et l’état de sympathie qui découlent de ce sentiment de redevabilité. Néanmoins, il est amusant de noter que la signification de « merces » a plus de poids pour les « Merci » ironiques : « Merci d’avoir pourri ma soirée ! » « Merci d’être parti te tourner les pouces pendant que je devais gérer ces cent cinquante dossiers tout seul ! »

NB : Puisqu’il est aussi question d’Aïkido dans cet article, il aurait été important et très intéressant aussi de dresser une étymologie du mot japonais « Arigato » et des termes annexes et similaires. Mais le fait est que je ne connais que très peu le japonais. Avec le temps, je comprends un nombre croissant de termes et de concepts liés au lexique des arts martiaux et des grandes philosophies asiatiques. Mais je serai incapable, à table avec des japonais, de demander plus de soupe ou si quelqu’un peut me passer les épices. Tout apport venant de lecteurs pratiquants le japonais ou le chinois sera le bienvenu.

 

Un exercice éthique et philosophique

En philosophie occidentale

S’il y a bien quelque chose à retenir sur les différences entre le stoïcisme et l’épicurisme, c’est que le stoïcisme est une philosophie holistique. Ce qui veut dire que le stoïcien considère que toutes les choses qui constituent le monde sont liées entre elles et que l’univers forme un grand tout. Ce grand tout est une somme supérieure à la simple accumulation des petites choses qui le constituent. Le stoïcien atteint l’ataraxie (état de sérénité ou de paix intérieure) lorsqu’il trouve sa juste place dans l’univers, lorsqu’il finit par accepter pleinement qui il est et son destin quel qu’il soit (Amor fati). Pour atteindre ce but, le philosophe s’adonne à un ensemble d’exercices et de méditations au quotidien. Parmi ces exercices, l’un d’entre eux compose l’intégralité du Livre I des « Pensées pour moi-même » de Marc Aurèle (Oui, le papa du pauvre taré qui gueule sur sa sœur dans l’extrait de Gladiator que j’ai mis plus haut ). En effet, l’œuvre de l’ancien philosophe, empereur et chef de guerre romain s’ouvre sur une énumération de tout ce qu’il doit à son entourage, tout ce qu’il a appris auprès d’eux, tout ce en quoi ces personnes ont eu une influence bénéfique sur lui, en guise d’hommage et de reconnaissance.

« De Maximus : être maître de soi et ne pas se laisser entrainer par rien ; la bonne humeur en toutes circonstances, même dans les maladies ; l’heureux mélange, dans le caractère, de  douceur et de gravité, l’accomplissement sans difficulté de toutes les tâches qui se présentaient ; la conviction où tous étaient qu’il parlait comme il pensait et qu’il agissait sans intention de mal faire ; ne point s’étonner ni se frapper ; ne jamais se hâter, ni tarder, ne se montrer irrésolu ou accablé ; ne pas rire à gorge déployée, pour redevenir irritable ou méfiant ; donner l’idée d’un caractère droit plutôt que redressé. Et ceci encore : que personne  n’a jamais pu se croire méprisé par lui, ni osé se prendre pour meilleur que lui ; la bonne grâce, enfin. »

(Marc Aurèle: Pensées pour moi-même, Livre I.)

Dans la spiritualité japonaise

Dans l’excellent La philosophie de l’Aïkido, John Wattson revient sur les réflexions philosophiques de O Sensei, de ses travaux sur les différents courants spirituels à travers le monde, de sa soif de connaissance et son appartenance à la secte shintoïste « Omoto Kyo ». De ce courant religieux, il en tire une leçon qu’il partageait avec ses élèves. Il appelait cette leçon « les quatre gratitudes » :

-La première des quatre gratitudes doit aller vers le soleil qui se lève chaque matin. C’est en effet grâce au soleil qui se lève que nous pouvons nous dire : « Chaque jour est un jour nouveau ». C’est parce que nous savons que le soleil se lève au matin que nous pouvons nous dire : « Je n’ai peut-être pas passé une bonne journée, j’ai peut-être échoué dans ma tâche aujourd’hui, mais je ferai mieux demain, les choses se passeront mieux demain. » Pour toutes les personnes qui peuvent se sentir accablées ou dépassées par les problèmes qu’ils doivent surmonter, cet exercice peut être un bon moyen de se rappeler aussi « qu’à chaque jour suffit sa peine », que nous ne devons pas voir notre problème comme un seul et entier, mais comme une succession de petites étapes quotidiennes facilement réalisables. Nous retrouvons tout à fait cette méthode, par exemple, chez les alcooliques anonymes. Les alcooliques anonymes ne se disent pas : « C’est décidé, j’arrête de boire ». Ils se disent : « Demain, je ne bois pas. » Et à la fin de la première journée, ils se disent : «  Aujourd’hui je n’ai pas bu, demain je ne boirai pas non plus. » Un jour après l’autre et à chaque jour suffit sa peine, c’est ainsi que nous surmontons plus de problèmes et que nous nous dépassons de manière plus efficace. Comme le dit le proverbe chinois : « Ceux qui déplacent les montagnes sont ceux qui ont commencé par déplacer quelques cailloux. »

-La deuxième gratitude va à la Nature. Car c’est elle qui nous a permis de naitre et qui nous maintient en vie, grâce à la nourriture qu’elle nous fournit, par le biais de ses plantes et de ses animaux. Sans Nature, il n’y a tout simplement pas de Vie.

-La troisième gratitude va à nos ancêtres. Si nos ancêtres n’étaient pas là, nous ne serions tout simplement pas là non plus. Sans leur vécu, sans leurs expériences et les leçons qu’ils en ont tiré, ils nous auraient tout simplement rien transmis et notre vie, actuellement, ne serait pas celle que nous vivons.

-La quatrième gratitude enfin, et non la moins importante, va à notre entourage, direct ou indirect. Nous devons nous retrouver reconnaissant envers nos familles, nos amis, nos enseignants, nos collègues, l’ensemble des personnes que nous croisons dans notre quotidien et qui sont à l’origine de l’ensemble des expériences qui nous constituent. Ainsi, nous devons remercier le boulanger qui fait notre pain, les agents de la voie publique qui entretiennent la route sur laquelle nous marchons ou conduisons, la caissière qui encaisse notre argent après avoir fait nos courses et les employés qui ont rempli le rayon, les personnes qui nettoient les toilettes publiques dans lesquelles nous allons soulager nos besoins les plus élémentaires, l’amie qui vous a donné le conseil qui vous a aidé à trouver votre nouveau travail. Merci à ce parfait inconnu, qui au détour d’une conversation dans un bar, vous a conseillé de lire « Le problème Spinoza » de Irvin Yalom et qui a été l’une des meilleures lectures de l’année. Cet ami d’un ami qui a bassiné tout le monde avec sa dernière découverte musicale et qui vous a permis de découvrir le groupe Hypno5e et qui a changé à jamais votre rapport à la musique. Merci à cet inconnu qui vous a servi de partenaire, lors d’un stage d’aïkido et qui vous a donné le bon conseil pour mieux réussir une technique que vous ne compreniez pas jusque là… Bref, on pourrait continuer comme ça encore très longtemps, c’est lors de ce genre d’exercices méditatifs que l’on se rend compte que l’ensemble des expériences qui nous constituent et à partir desquelles nous construisons notre identité, nous le devons à l’ensemble des personnes avec qui nous vivons en société. Sans que l’on se rende compte, le parfait anonyme à l’autre bout du monde peut faire quelque chose qui a des conséquences sur notre quotidien et il est important de garder cette perspective à l’esprit.

En Aïkido

Pour les lecteurs du blog, comme pour les pratiquants assidus, chacun sait qu’une séance d’aïkido est rythmée par un assez grand nombre de rituels et de protocoles. Lorsque l’on se planche sur eux, on s’aperçoit que la majorité d’entre eux ont pour but de maintenir un sentiment de gratitude entre les pratiquants.

-Le Salut : Au début de la séance, au moment du Salut, après que le maitre ait salué le portrait de O Sensei et ses uchi deshis, il se tourne vers les élèves qui le saluent en premier. La formule japonaise que les élèves prononcent à ce moment est : « Merci pour la leçon que vous vous apprêtez à nous donner. » Ce à quoi le maître répond : « Merci d’être venus. »

Au salut de fin de séance, le rituel reste le même, mais les formules changent un peu. Les élèves disent : « Merci pour la leçon que vous nous avez donné. » Et le maitre : « Merci pour votre participation. »

-Pendant et après la pratique : Après chaque exercice, les pratiquants ne se quittent pas avant de s’être remerciés. Après la séance et après le salut, tous les pratiquants se remercient entre eux. Quoi que j’ai pu voir deux écoles à ce moment. Certains estiment qu’ils n’ont à remercier que ceux avec qui ils ont pratiqué. D’autres, au contraire, tiennent à remercier toutes les personnes présentes sur le tapis. J’avoue avoir une certaine préférence pour la deuxième. Car quand bien même nous ne pouvons parfois pas pratiquer avec tout le monde, par faute de temps, nous avons quand-même partagé un moment, suivi le même cours, eu un moment ou un autre un sentiment de bienveillance, en veillant, par exemple, à ne pas projeter notre partenaire sur le binôme d’à côté. De prés ou de loin, nous vivons ou partageons toujours, d’une manière ou d’une autre, avec chacun des êtres présents au même endroit. Le bon déroulé d’une séance dépend de la bienveillance et du comportement de chacun d’entre nous. C’est pour cette raison que je trouve important de pouvoir remercier chaque individu présent sur le moment.

En finir avec le mythe du self-made-man

Depuis environ deux siècles maintenant, nous vivons dans une société fondée sur un drôle de mythe : celui de « l’homme qui se fait tout seul ». La littérature, le cinéma, la presse, les discours politiques, nous narrent les récits d’hommes d’exception, contre qui le destin et la jalousie de tout à chacun semble s’acharner. Mais armés de leur seule volonté, ils partent de rien et deviennent de brillants entrepreneurs multi milliardaires, que tout le monde envie. Mais devant leur réussite à eux-seuls, ils estiment ne rien devoir à personne, que c’est même le contraire, que c’est à nous de les remercier d’être aussi géniaux et « indispensables » au bon fonctionnement de notre monde. Sans nier la force de volonté de certains individus, sans nier des actes accomplis exceptionnels qui forcent l’admiration, réfléchissons un peu aux origines de cette force de volonté et ce qui a pu la construire. Mais aussi et surtout, réfléchissons à l’origine de ce fameux talent qui ont permis une telle réussite. Que serait devenu ce grand génie de l’informatique sans ce professeur de mathématiques qui lui a transmis sa passion pour les nombres et les raisonnements logiques ? Que serait devenu ce créateur de concepts marketting s’il n’avait pas été soigné par un médecin quand il était petit ? Peut-être n’aurait-il pas survécu à sa maladie sans l’intervention de ce médecin et ce qui a permis de payer ses soins. Que serait devenu ce grand chef cuisinier, sans sa grand-mère qui a stimulé sa gourmandise avec ses petits gâteaux ? Que serait tout simplement, aujourd’hui, n’importe quel grand producteur industriel, sans tous ces bras et corps qui s’agitent en usine pour produire ce qu’il vend et qui le rend si riche et si fier de sa réussite ? Sans ces bras et corps qui s’agitent, contrairement à ce que pensent certains, rien ne se fait et rien ne se crée dans ce monde.

En dépit de toute son absurdité, chefs d’entreprises, politiciens, journalistes, publicitaires et biographes de gondoles continuent de faire enfoncer ce mythe à coups de marteau dans nos crânes : Il existerait quelques êtres exceptionnels sans qui notre monde et notre société ne seraient que chaos. Ainsi, nous leur devons tout. Par contre, eux sont tellement exceptionnels qu’ils sont auto-suffisants, qu’ils parviennent à s’auto-alimenter et s’influencer eux-mêmes, sans le moindre recours au monde extérieur, sans jamais demander la moindre aide à qui que ce soit, de sorte qu’ils ne doivent absolument rien à personne, sinon leur propre génie venu ex nihilo.

Contre cette propagande, il convient de rappeler le plus grand nombre de fois possible l’état d’interdépendance dans laquelle met chacun d’entre nous notre condition humaine. En tant qu’être humains, nous sommes des êtres sociaux, nous nous construisons en fonction du regard que porte sur nous notre entourage. Nous grandissons et évoluons avec ce qu’il nous apporte, en bien ou en mal. Ainsi, comme le rappelle si bien le professeur de philosophie et psychanalyste Carlos Tinoco, même l’ermite, ou le sage solitaire, jouit de sa posture en fonction du regard que porte sur lui la société et du rôle qu’il se donne par rapport à elle. Quand bien même nous nous identifierions à des espèces solitaires comme le tigre ou le chat sauvage, que sont ces animaux sans la mère qui les a mis au monde et appris à chasser ? Voyez-vous, il y a toujours au moins un être autre que vous qui a joué un rôle primordial dans votre existence.

Si tout cela n’était qu’un mythe absurde, à quoi bon lutter contre lui ? A quoi bon partir en croisade contre les moulins à vent aux côtés de Don Quichote ? Si je mets un point d’honneur à donner un angle plus politique à  cet article, c’est que je constate au quotidien la souffrance qu‘engendre ce récit absolument déconnecté de notre condition humaine. Loin de n’être qu’une fiction, le personnage de Walter White qui refuse qu’on l’aide à payer ses soins pour guérir du cancer, dans la série Breaking Bad, car ce serait se rabaisser de demander la « charité », je le rencontre bien souvent. J’ai rencontré beaucoup trop de monde s’enfermer seul avec ses problèmes, refuser de l’aide par sentiment de honte (J’ai moi-même été un moment l’un d’entre eux). Le fait est que tous les problèmes n’affectent pas notre vie avec la même ampleur et certains d’entre eux ne peuvent être réglés seul. Beaucoup plus de problèmes que l’on croit ne peuvent être réglés seul. En dépit de cela, les personnes autour de nous et les récits médiatisés nous martèlent que si on est un « Homme », on doit se débrouiller seul. On nous explique qu’on ne peut pas tout attendre des autres, qu’on ne doit pas « tout attendre de l’Etat », alors on s’efforce de s’atteler seul à une tâche qui, le plus souvent, nécessite d’être à plusieurs. Bien entendu, chaque fois que l’on peut faire quelque chose seul, autant le faire. Mais l’Humanité doit sa survie au fait que les individus finissaient toujours par se mettre à plusieurs pour accomplir des tâches. Ainsi, le parcours d’un individu est naturellement semé d’obstacles à surmonter à plusieurs. L’échec qui découle de ces tentatives vaines engendre une grande souffrance intérieure, une perte de l’estime de soi face à son manque de capacités. Ce qui est pourtant totalement absurde. Quoi de plus naturel, que d’échouer seul, là où une aide était nécessaire ?

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Mais cela n’est que la partie émergée de l’iceberg. Une autre souffrance, plus insidieuse, plus sournoise, découle de la manière dont ce mythe justifie la place de chacun au sein de la hiérarchie. Les plus privilégiés, les plus fiers de leur place ou de leur « ascension sociale », affichent un mépris à peine déguisé pour celles et ceux (souvent celles), occupant une place moindre ou une profession moins rémunératrice. S’ils ou elles se plaignent, ils ou elles n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, c’est qu’ils ou elles ne travaillent pas assez dur, ne montrent pas assez de volonté et ne s’investissent pas assez dans leur carrière professionnelle. Comme s’il n’y avait que cela qui constituait une vie, comme si le vécu de chacun, son origine, les expériences professionnelles n’étaient que des données négligeables dans la construction de chacun. Comme s’il existait un nombre indéfini des meilleures places, de manière à attribuer au mérite de chacun une place à la hauteur de son investissement et de sa volonté. Quand bien même tout le monde démontrerait une même passion dévorante pour son job, une combativité de tous les instants et un investissement des plus exemplaires, le nombre de places, au sein de chaque frange, ne changerait pas le moins du monde. Cette croyance a pour conséquence de faire croire à chacun qu’il n’est pas assez bon, qu’il n’est autorisé à explorer aucun autre domaine que celui qui lui est attribué. « Je ne suis que femme de ménage, les livres ce n’est pas pour moi. » « Je ne suis qu’ouvrier, la philosophie et l’économie, c’est trop dur pour moi. Je n’ai pas les capacités de comprendre, je suis moins intelligent que les gens qui parlent de ça à la télé. » « Je suis toute la journée assis à un bureau et j’ai mal au dos, les activités physiques et sportives ce n’est pas pour moi. De toute façon, je suis trop nul en sport… » Toutes ces inhibitions, toutes ces autocensures, sont le fruit d’une croyance qu’on n’a que la place qu’on mérite et qu’on ne peut connaitre son potentiel qu’en se comparant aux autres, qu’en se fiant aux récits collectifs qui justifient la place de chacun et les occupations qui nous sont permises ou obligées. Cette aliénation empêche un trop grand nombre d’individus de découvrir leur potentiel, une véritable puissance d’agir, un ensemble d’activités qui pourraient engendrer de nouvelles passions et donner un sens plus satisfaisant à leur propre vie.

Vous pensez que je me suis éloigné du sujet ? Que ma diatribe n’a plus rien à voir avec l’importance de dire « Merci » ? Détrompez-vous ! Ce récit collectif détruit la signification du remerciement et du vivre ensemble pour trois raisons selon moi. La première (et la plus évidente), il laisse croire à trop d’individus qu’ils ne doivent absolument à personne et les incitent à se déconnecter des nécessités sociales et à se désintéresser du sort de leurs voisins. La seconde : Trop de personnes finissent par se dénigrer elles-mêmes face au manque de reconnaissance de leur entourage et à souffrir du sentiment d’invisibilité que cela entraine. Et la troisième enfin, le comble de l’ironie, les adeptes de ce mythe ont même fini par donner un tout autre sens au mot « Merci » dans leurs usages. En effet, que dit-on à celui dont on n’a plus besoin sur son lieu de travail ? Que dit-on à celui dont on se débarrasse ? Celui qu’on licencie ? On le « remercie ». Dans la bouche de ces personnes, « Merci » signifie : « C’est bon, nous n’avons plus besoin de toi, nous ne te voulons pas dans nos pattes ! » Le mot Merci prend pour signification le passage d’un état « d’utile » à celui « d’inutile », au lieu d’être un signe de reconnaissance et de gratification. Plutôt que de procurer une joie bien méritée pour un acte accompli, il devient un signe de mise à l’écart, sinon d’ostracisme.

Conclusion :

Que doit-on retenir de ces trois réflexions autour du même terme ? Quelle que soit la langue du locuteur, le fait de dire « Merci » signifie une « redevabilité », rend compte d’un acte accompli par l’interlocuteur et lui fait part de prise de conscience de l’apport qu’a cet acte pour lui-même. Le locuteur peut espérer ainsi procurer un peu de joie en contre partie de ce qui a été fait pour lui. Que c’est aussi un exercice d’humilité, que de reconnaitre l’apport de chacun dans nos vies et notre place dans un monde où nous sommes tous interdépendants les uns les autres. Mais qu’aujourd’hui, il devient peut-être de plus en plus important de signifier notre gratitude et notre bienveillance envers celles et ceux avec qui nous partageons notre quotidien, dans une société régie par des croyances flattant quelques égos et engendrant des injustices et un mal être pour une grande part de la population. Dire merci peut donc être une arme pour lutter contre certains comportements malveillants et méprisants. Plus que jamais, je vous encourage à ouvrir l’œil et à regarder autour de vous. Progressivement, je l’espère, vous vous apercevrez des bienfaits, mêmes les plus minuscules, que chaque individu peut avoir à votre égard. Votre bienveillance et votre conscience des choses ne peut que s’en trouvée grandie. Ainsi, quelque soit le nombre d’entre vous, MERCI à vous de me lire, de partager entre ces quelques lignes un moment de réflexion, mais aussi je l’espère, de plaisir.

L’efficacité des arts martiaux

L’efficacité des arts martiaux

Xu Xiaodong, pratiquant de MMA[1] et promoteur, choisit, pour  faire de la publicité pour sa personne et sa discipline, de jouer la carte de la provocation en insultant les maitres d’arts martiaux traditionnels. Selon lui, ces disciplines seraient totalement désuètes et inutiles et ceux qui les enseignent, en tant qu’arts martiaux, seraient des « charlatans ». Pour prouver ses dires, le provocateur à la langue bien pendue lance le défi aux maîtres et se prétend capable de battre n’importe lequel d’entre eux. Au mois d’avril 2017, Wei Lei, maître de Taï Chi, relève le défi. S’ensuit un combat d’à peine plus de quinze secondes, au cours duquel Wei Lei est mis au sol et roué de coups. En dépit de la courte durée de ce combat, s’ensuit un long et interminable débat, entre défenseurs de la tradition et aficionados des sports de combat modernes. Les uns affirment qu’il n’y avait pas de comparaison à faire entre le Taï Chi et le MMA, à cause de leurs différences et leurs objectifs, pendant que d’autres exhibaient cette vidéo comme preuve authentique de leur vision des choses et se moquer du pauvre Wei Lei, dont les excuses n’ont pas vraiment aidé les traditionnalistes à défendre leur cause : « « j’ai glissé parce que j’avais des chaussures neuves »,  « je n’ai pas gagné car cela aurait apporté une “discordance” dans ma vie »,  « je me suis retenu car j’aurais pu le tuer si j’avais été au maximum »

L’association chinoise des arts martiaux condamne ouvertement cet événement, en grande partie à cause du fait qu’il y avait de l’argent en jeu, ce qui est totalement contraire à leur éthique. Les « modernistes » doivent y voir dans cet argument un déni  et une piteuse façon de masquer « l’obsolescence » et la « désuétude » des arts traditionnels. Les disciples des arts traditionnels se demandaient, eux, si Wei Lei était la bonne personne pour représenter le Taï Chi.

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Suite aux provocations répétées de Xu Xiaodong, Lu Xing, un autre maitre de Taï Chi a déclaré vouloir donner « une leçon d’humilité » à cet arrogant. Un nouveau combat était organisé, mais a finalement été interrompu par l’arrivée de la police, en raison de sa clandestinité.

http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/06/29/lutteur-de-mma-contre-maitre-du-tai-chi-le-combat-qui-attise-le-debat-sur-les-arts-martiaux-traditionnels_5153135_4832693.html

Devant la pauvreté du débat et la position de certains, j’avais d’abord préféré ne rien dire et faire comme si je n’avais pas remarqué cet événement. Mais la réflexion m’a amené à écrire cet article et à proposer un autre point de vue sur l’efficacité des arts martiaux traditionnels, car c’est bien de ça qu’il est ici question.

 

Qu’est-ce qu’un art martial ?

L’adjectif martial vient tout simplement de « Mars », le dieu romain de la guerre. Un art martial est donc un art du combat. Dans le langage courant, les occidentaux ont tendance à appeler « arts martiaux » les disciplines asiatiques et « sports de combat » les disciplines occidentales. Or, il n’y a sémantiquement pas de différence entre « art martial » et « sport de combat ». Les mots sont différents mais évoquent exactement la même chose. En revanche, les japonais ont un mot à la signification bien différente pour nommer leurs arts martiaux : Budo[2] peut se traduire par « La voie pour arrêter la lance ». La signification est tout à fait différente et donne une vision plus défensive et pacifiste que la référence occidentale à un dieu de la guerre. Le mot chinois Wushu signifie plus ou moins la même chose, étant donné que « Wu » et « Bu » ont la même racine idéographique. Cette différence significative en dit déjà long sur la différence fondamentale entre l’approche occidentale et orientale des arts martiaux. Les occidentaux n’approchent leurs disciplines que par le biais de la pratique du combat, tandis que les chinois et les japonais, dans leur forme traditionnelle, ne séparent pas l’enseignement de leurs techniques d’un enseignement moral, voire philosophique et spirituel.

Ceux qui voient les choses sous forme de compétition me répondront que cette différence n’empêche pas la comparaison,  que cela ne diminue en rien l’importance de savoir quelle discipline est meilleure et plus efficace que l’autre. Je trouve cette façon de concevoir les choses puérile, dans la mesure où ces gens se demandent, ici, qui est le plus fort entre le judoka et le boxeur, celui qui fait du MMA et celui qui fait du Kung Fu, de la même manière qu’on se demandait, étant enfant, qui est le plus fort entre le requin et le crocodile ou entre Terminator et Batman.

Chaque art martial est un système. Ou plutôt, un outil qui a été pensé pour répondre à des besoins, qui a été crée dans tel ou tel contexte et est le fruit d’une certaine quantité d’expériences individuelles ou collectives. Lors de mes recherches et mes réflexions philosophiques, j’ai souvent tendance à m’opposer à l’idée de « système philosophique », car j’ai du mal à croire en la possibilité d’atteindre l’exhaustivité, pour un individu ou un groupe d’individus. En ce sens, je m’oppose aussi à la possibilité qu’un art martial puisse être exhaustif, qu’il puisse répondre à tous les besoins en toutes circonstances. D’ailleurs, les grands maîtres ont toujours étudié plusieurs disciplines, avant de créer la leur. En ce domaine, je reconnais au MMA le mérite de faire de la polyvalence un de ses principes fondamentaux. Là, j’arrive à l’un de mes principaux arguments, la comparaison des disciplines martiales est, sinon absurde, incroyablement complexe. Cela revient au même que de comparer des outils, en dehors de leurs contextes respectifs. Autrement dit, c’est comme si deux bricoleurs se demandaient quel est le meilleur des outils, entre le marteau et la scie, sans préciser si c’est pour planter un clou ou couper des branches.

 

Contexte et Ma-aï

Prenez deux individus, donnez à l’un une règle, à l’autre un rapporteur, à chacun un crayon et une feuille. Demandez d’abord à ces deux personnes de dessiner un angle ouvert à 48 degrés. Celui qui a le rapporteur fera son exercice avec plus de rapidité et de précision que celui qui a la règle. De là, les gens déduiraient que le rapporteur est un meilleur outil que la règle. Demandez maintenant aux deux individus de dessiner un polygone ayant telle et telle dimension. Celui qui a la règle aura réussi cet exercice avec plus de rapidité et de précision que celui qui a le rapporteur. Conclusion, on ne peut juger de l’efficacité et de l’utilité de chaque outil qu’en fonction de contextes. Il en va de même pour les arts martiaux. On ne peut les juger que par rapport au contexte dans lesquels ils sont efficaces ou non. En Karaté et en Aïkido, il arrive d’entendre les pratiquants parler de Ma-aï, pour désigner la distance entre deux combattants. Mais le Ma-aï est un concept qui englobe, non seulement la distance, mais aussi l’environnement qui entoure les combattants. Le pratiquant ne doit pas veiller qu’à la distance entre lui et son partenaire, pour agir de manière efficace, mais aussi aux choses qui l’entourent : le sol, les murs, les obstacles, les autres individus. Avoir conscience du Ma-aï, ce n’est pas seulement s’assurer de partir de la bonne distance pour exécuter correctement sa technique, c’est aussi rester attentif à ce qui se passe autour de soi. Ainsi, dans un dojo, il est préférable, pour un pratiquant, de ne pas projeter son partenaire en direction d’un autre binôme ou d’un autre groupe ou simplement d’arrêter son déplacement avant de télescoper son voisin, afin d’éviter de regrettables accidents. Que ce soit dans un Dojo ou un gymnase, la plupart des arts martiaux proposent des entraînements et une pratique dans un environnement qui est, en réalité, bien aseptisé. Sol plat et la plupart du temps mou, sans obstacle dans lequel se cogner ou se prendre les pieds… En ce sens, que ce soit dans le MMA ou en Taï Chi, les entraînements se font dans un contexte déjà bien éloigné de la « réalité ». Pour juger de leur efficacité dans la « réalité », il aurait déjà fallu organiser plusieurs combats dans différents contextes : sol plat, sol glissant (gravier ou verglas), sol boueux, escarpé, escaliers, couloir, pièce remplie de tables et de chaises, en équilibre sur une poutre… Et encore, cela n’aurait pas été suffisant pour juger quoi que ce soit. Quand j’ai été initié au combat Viking, les membres de la troupe Odin Folgesvenner aimaient bien me raconter à quel point ils s’amusaient, quand ils voyaient d’autres troupes trébucher en se prenant les pieds dans les mottes de terre ou perdre leur équilibre en essayant d’esquiver ou de parer les coups. Signe flagrant d’une trop grande habitude à s’entraîner dans une salle au sol bien plat et sans dénivelé et ne pratiquant pas assez en pleine nature. Aussi doué et efficace que puisse être un pratiquant de MMA, saurait-il, en toute circonstance, reproduire chacune de ses techniques dans la rue, sous la pluie, sans glisser ni trébucher sur le trottoir ? Si dans ce même contexte, un lutteur chez qui il y a beaucoup de verglas en hiver et donc habitué à marcher sans glisser sur le trottoir, parvient à rester debout plus longtemps, et donc à ramener plus vite au sol le pratiquant de MMA, cela voudrait-il dire que la lutte gréco-romaine serait plus efficace que le MMA ? Le sens de l’équilibre, la conscience des choses qui nous entourent et l’attention portée à son environnement dépendent uniquement du sérieux que met le pratiquant dans son entrainement et de ses propres habitudes. Cela n’est en rien imputable à son choix d’étudier telle ou telle discipline. De plus, comparer les différentes disciplines en fonction de la prestation de leurs représentants consiste à faire un gros amalgame. En effet, cela sous-entend que certains individus incarnent leur discipline. Un karatéka n’est pas le karaté, il a un karaté. En aïkido, même un Shihan[3] n’est pas l’aïkido, il a un aïkido. Bien que le sien ressemble comme deux gouttes d’eau à celui d’O Senseï, cela reste malgré tout son aïkido et non pas l’aïkido, aussi orthodoxe soit sa technique. Derrière le fantasme d’incarner sa propre discipline, c’est aussi chercher quelque part un moyen de se dédouaner de sa propre responsabilité, dans ses propres échecs, en tentant de se faire croire que nous n’aurions pas choisi la bonne discipline, que nous aurions dû prendre une meilleure.

 

Qu’entend-on par « Réalité » ?

Dans les discussions entre pratiquants, au sein des différentes disciplines, la question de « l’efficacité » se pose légitimement. Mais dans l’état d’esprit de compétition ambiant dans lequel nous vivons actuellement, ceux qui prêchent pour leur paroisse et veulent prouver la supériorité de leur discipline sur les autres, amènent toujours leurs arguments dans un contexte particulier qu’ils nomment « Réalité ». Il existe sur Youtube un certain nombre de vidéos d’adeptes de MMA, montrant des exercices d’Aïkido et de Taï Chi agrémentés de « Bullshit » ou de « Fantasy », écrits en grosses lettres sur l’écran, puis des vidéos de combats MMA portant la mention de « Reality ». Sans m’attarder sur le fait que prétendre saisir et décrire la réalité à partir d’un seul contexte, sans mentionner l’infinité d’autres possibilités qui la constituent, est une supercherie et une malhonnêteté intellectuelle, il me semble important de préciser qu’un entrainement de MMA ou un affrontement dans une cage octogonale est tout aussi fictif qu’un exercice d’aïkido. Lorsqu’on regarde des vidéos de stages de Self Defense ou de Krav Maga et qu’on entend l’enseignant dire : « En théorie, tel ou tel enseignant vous apprend ceci ou cela. Dans la réalité, il se passe ceci et cela… » Il faut bien garder à l’esprit que l’enseignant ne montre pas plus de « réalité » qu’un autre, sous prétexte qu’il a utilisé ce terme. D’ailleurs, les professeurs de Self Defense qui basent leur entrainement sur des mises en situation et qui sont honnêtes envers eux-mêmes et leurs élèves, reconnaissent qu’une mise en situation n’est qu’une mise en situation et ne peut en aucun cas représenter la « réalité ». Les bons maîtres se posent continuellement la question de l’efficacité de leur enseignement, sachant qu’ils ne pourront jamais totalement mettre leurs élèves en situation « réelle ». Ils savent qu’ils ne peuvent, au moins, que tenter de s’en rapprocher un maximum, à moins de les mettre volontairement en danger et de délibérément leur nuire. Malgré la violence d’un combat MMA, chaque pratiquant sait qu’un arbitre est présent et mettra fin à l’affrontement, avant que les choses ne dégénèrent et ne deviennent trop dangereuses. Malgré le peu de compassion que ces athlètes peuvent avoir les uns envers les autres, cette différence ne peut en aucun cas être négligée, dans la comparaison avec un combat de rue sans arbitre, ni tierce personne impartiale pour vous secourir.

 

Et dans tout ça, pourquoi je continue l’aïkido ?

Comme je l’expliquais plus haut, chaque art martial est un outil cherchant à répondre à certains besoins dans un contexte particulier. Par exemple, une situation de combat dans un couloir ou un milieu exigu favorisera d’avantage ceux qui pratiquent des disciplines de combat plus rapproché, comme le Wing Chun, par rapport à des pratiquants habitués à effectuer des mouvements amples et à avoir de longues allonges. Le combat au sol comme le Jujitsu brésilien aurait plus d’avantages sur un sol glissant… C’est de cette manière qu’il devient judicieux de comparer les différentes disciplines et c’est en réfléchissant à la situation  qui est la plus probable de m’arriver, mais pas que, que je me suis intéressé à l’aïkido. En plus d’un certain nombre de techniques martiales et physiques, l’aïkido propose aussi un enseignement moral dans lequel je me retrouve et une véritable réflexion philosophique sur le pacifisme, que je trouve tout à fait cohérente.

Pour ce qui est du contexte, par rapport à mon quotidien et là où je vis, si je dois être amené à affronter quelqu’un qui me voudrait du mal, il est plus probable qu’en calmant quelques ardeurs et mettant fin à quelque malentendu, j’ai de grandes chances de mettre fin à la situation sans avoir eu recours à la violence physique. Mais si violence physique il y a, des techniques basées sur le non recours à la force augmentent mes chances d’avoir une réaction proportionnelle, pour respecter la loi, mais plus important encore, d’éviter un maximum que des personnes soient blessées, moi y compris. Habitué à discuter avec des personnes aux idées politiques et à la vision du monde bien arrêtées, je devine déjà ce qui peut m’être rétorqué par certains adeptes de Krav Maga ou de MMA, me disant que je vis dans un monde de Bisounours, que si « je n’écrase pas, c’est moi qui me fait écraser ». J’ai l’habitude de répondre à ces gens là que si je vis dans un monde de Bisounours, eux vivent dans un monde de Power Rangers ou de GI Joe. Que dans la « réalité », comme ils aiment bien dire, les policiers ne rencontrent pas de psychopathes ou de tueurs en série à tous les coins de rue, comme il semble être le cas dans des séries comme « Hannibal ». J’ai choisi l’aïkido car les réponses qu’il apporte dans un type de contexte me satisfont et que je ne suis pas naturellement quelqu’un d’agressif et que je n’ai pas envie de le devenir.

Pour ce qui est du Krav Maga, je rappelle que c’est un art martial israélien et que ce pays est actuellement en guerre. Quoi que je puisse penser de la politique actuelle de son gouvernement, je trouve logique qu’une discipline comme le Krav Maga apparaisse, puisqu’elle est née d’un besoin de former rapidement des militaires et des policiers, qui peuvent se retrouver face à des personnes déterminées à les tuer. Je trouve qu’y a une très nette différence, entre vivre dans un pays en paix, où l’on a plus de chance de rencontrer quelqu’un à l’alcool un peu mauvais et qui a juste besoin d’être calmé et être dans un pays en guerre et risquer de croiser quelqu’un qui, tant qu’il respirera, cherchera un moyen de vous nuire ou de vous tuer. Je peux tout à fait comprendre le besoin, pour des policiers ou des militaires, d’être initiés à de telles techniques, étant donné la plus forte probabilité, pour eux, de se retrouver face à ce cas de figure. Néanmoins, je ressens un profond malaise, en regardant certaines vidéos de démonstrations ou de stages, en voyant les pratiquants simplement appliquer les consignes, et même dans les explications de l’enseignant. J’y ressens assez régulièrement une certaine forme de sadisme, un plaisir dans la capacité à faire mal et à blesser de manière assez conséquente son partenaire. Mon maître d’aïkido aime bien répéter, qu’il est à la portée de n’importe quel imbécile de savoir faire mal. Par contre, effectuer de manière efficace l’exercice demandé, sans blesser et tout en conservant, pour votre partenaire, le plaisir de pratiquer avec vous, ça demande de la concentration et du travail.

Pour le MMA, enfin, le documentaire « The Hurt Business » montre très bien qu’en dépit de son image résolument moderne et sa prétendue nouveauté, il puise son origine dans des pratiques ancestrales, comme le Pancrace[4] dans la Grèce antique. Il est aussi né d’une volonté de mélanger plusieurs disciplines déjà existantes, afin d’obtenir un répertoire de techniques polyvalentes, dont le Jujitsu, qui est un art ancestral et traditionnel. L’arrogance de Xu Xiaodong vis-à-vis des arts ancestraux est donc la preuve d’une inculture, puisque sa discipline doit son « efficacité » à l’étude des arts traditionnels. Elle ne serait donc rien sans eux. Mais surtout, le MMA a été crée dans le but d’offrir un véritable spectacle, en guise de compétition, où les affrontements se rapprocheraient le plus de combats de rue. Néanmoins, la cage octogonale, l’arbitre, les projecteurs, les caméras et les gradins  éloignent déjà assez, je trouve, du contexte de la rue. De plus, l’UFC, sa principale fédération, en fait un véritable business dont les principaux membres en tirent de juteux bénéfices. L’un des premiers besoins auquel le MMA répond est de faire du spectacle, pas d’offrir un outil de réflexion sur les différentes manières de réagir dans le quotidien. De plus, il est important de se rappeler que la plupart des gens se tournent vers les arts martiaux, dans un souci de se préserver face à un danger. Le documentaire insiste plutôt, vers la fin, sur les problèmes de santé que rencontrent ces « gladiateurs des temps modernes », à cause de leur pratique et fait aussi références aux recherches qui sont actuellement menées sur les commotions et les séquelles irréversibles causées par les KO à répétition. Drôle de manière de se préserver, je trouve, à s’esquinter autant la santé.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19565657&cfilm=248772.html

L’un des reproches que je ferais aux arts martiaux occidentaux, c’est qu’en ne portant l’attention uniquement sur les techniques de combat, sans enseignement moral derrière, cela a tendance à faire oublier aux pratiquants, surtout aux plus jeunes, qu’une tension sociale, que le comportement agressif  d’un autre ne se règle pas par des coups et des blessures. Tous les enseignants de Karaté, de Judo, de Kung Fu ou d’Aïkido diront que le meilleur des combats est celui qu’on a évité. Mais je me réjouis aussi de savoir que les plus sérieux et les plus scrupuleux des professeurs de Boxe, de Lutte et de tout autre sport de combat, se donnent la peine de rappeler régulièrement cet aspect fondamental à leurs élèves. Avant de vouloir vaincre l’agressivité de l’autre, il est fondamental de commencer par vaincre sa propre agressivité. Maitre Ueshiba aimait rappeler à ses élèves que la plus grande victoire, c’est quand on a réussi à vaincre l’ennemi qu’il y a en nous-mêmes. La  « réalité », quoi qu’en pensent ceux qui se targuent de la connaitre, n’est pas entièrement une chose immuable indépendante de notre volonté. C’est une chose qui se construit progressivement dans notre conscience et en conséquence, aussi, de nos propres actes. Ainsi, dire que le monde est ceci ou cela, c’est déjà agir sur le monde extérieur en y projetant une partie de notre propre réalité intérieure.

 

Conclusion :

Je finirais donc en insistant sur le fait que la comparaison des différentes disciplines martiales est un exercice difficile et périlleux. Par contre, en alternative à l’état d’esprit de compétition ambiant, je propose d’approcher la question de l’efficacité des arts martiaux en posant le problème autrement. Franck Ropers, grand maitre français de Pencak-Silat, défend l’idée que tous les arts martiaux ont énormément à gagner à apprendre les uns les autres et à apporter chacun sa pierre à l’édifice. Je trouve cette idée préférable à celle qu’il faille faire affronter tous les arts martiaux pour savoir lequel est le meilleur. Car je soutiens l’idée que personne n’est en mesure d’apporter une vision exhaustive des choses et que l’on sort d’avantage grandi, en multipliant les expériences, en essayant de se mettre à la place de chacun pour explorer un maximum de perspectives. Il n’y a que de cette manière que des arts martiaux pourront prétendre à une « efficacité ». Je ne dis pas non plus qu’il faille continuellement piocher à droite à gauche, car ceci n’apporte que de la superficialité et aucune progression dans la pratique. Il vaut mieux choisir une discipline, s’y tenir et tenter de s’y spécialiser, tout en s’intéressant, régulièrement, à ce qui se fait à côté et à parfois essayer de pratiquer d’autres techniques avec d’autres personnes, de manière à explorer de nouvelles perspectives. C’est pour cette raison que je souhaite continuer l’Aïkido, parce que c’est celle-ci que j’ai commencée, il y a maintenant deux ans, et que je souhaite aussi avoir l’occasion d’aller parfois assister à des entrainements de Systema et de Wing Chun, deux autres disciplines qui me passionnent tout autant.

Je me doute bien aussi que ma vision du MMA et du Krav Maga puisse être limitée ou erronée en certains points. Le fait est que je ne connais que trop peu de pratiquants de ces disciplines avec qui je peux amplement discuter de ces aspects là. Néanmoins, j’ai tenu à faire part de ces impressions pour justement attirer l’attention d’éventuels pratiquants qui passeraient par là. Je serais ravi d’avoir vos réactions sur ce sujet et d’avantage m’expliquer de quelle manière vous approchez votre propre pratique et qu’est-ce qui vous est enseigné lors de l’entrainement.

[1] Arts martiaux mixtes (Mixed martial arts) https://fr.wikipedia.org/wiki/Arts_martiaux_mixtes

[2] Chris Peytier : De l’Aïkido au Systema, Page 27. Edition Guy Trédaniel.

[3] Grade attestant de l’authenticité de l’aïkido du pratiquant et de sa conformité avec l’enseignement du fondateur.

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pancrace

Notion d’ouverture

Notion d’ouverture

« Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi. »

(Frank Herbert, Dune, « la litanie contre la peur ».)

Dans la plupart des arts martiaux, il est question d’avoir une position de garde impeccable, de manière à ne laisser aucune « ouverture » à son adversaire. Dans la plupart des sagesses et des spiritualités, il est question de parvenir à s’ouvrir aux autres ou à Dieu, pour atteindre le bonheur ou la sérénité. Mais au-delà de cette dichotomie, ces deux domaines nous apprennent beaucoup sur nous-mêmes et quoi que nous enseignent les grands maîtres du combat, ils finiront toujours par affirmer que le plus important est de s’ouvrir à l’autre.

 

L’ouverture dans les arts martiaux

Quel que soit le pays dont est originaire un art martial, il y a des récurrences universelles. Cela vient de l’évidence que nous avons tous le même corps, la mécanique étant la même, des techniques peuvent parcourir des milliers de kilomètres ou être découvertes à plusieurs endroits et époques différents. L’une des premières ressemblances que l’on peut voir vient de la position de garde. Celles en Boxe et en Karaté (mais aussi Aïkido) partent de la même base : Bras levés (plus ou moins hauts en fonction de la distance entre les combattants) pour mieux parer et se protéger, une jambe avancée et fléchie pour avoir un meilleur appui et une bonne stabilité. Ces deux arts martiaux, ainsi qu’à peu prés tous les autres, reposent sur la même stratégie. Se protéger en verrouillant ses points sensibles (son centre plus particulièrement) et chercher « l’ouverture » chez l’adversaire, pour ensuite l’exploiter. D’ailleurs, en Kung Fu Wing Chun, comme en Capoeira, les séances d’entrainement comprennent des exercices relativement ludiques, pour se perfectionner dans la recherche de l’ouverture chez l’autre. Cette idée est omniprésente et pas que dans les arts martiaux. Puisque cette notion est aussi centrale dans le jeu d’échecs. Des livres sont même entièrement consacrés aux ouvertures et aux stratégies adéquates.

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D’un premier point de vue, on peut alors penser que l’ouverture est un signe de faiblesse. Sa présence n’est pas souhaitable, car annonciatrice d’une défaite à venir. Néanmoins, chez les pratiquants plus aguerris, l’ouverture dans leur garde ne constitue en aucun cas une faiblesse. Bien au contraire, elle devient une force. En effet, de nombreux maîtres d’arts martiaux laissent volontairement des ouvertures dans leur garde pour inciter l’adversaire à s’y engouffrer. Ce qui a pour conséquence de laisser chez ce dernier aussi une ouverture, que le maître peut ensuite exploiter à sa guise. Ce cas de figure est incroyablement bien mis en scène dans le chef d’œuvre de Kobayashi : « Hara Kiri ». Lorsque le personnage principal se voit contraint d’affronter un grand samouraï et qu’il s’aperçoit que la situation est totalement bloquée, car la position de chacun est absolument impeccable, c’est alors qu’il décide de s’approcher de lui les bras grands ouverts en offrant son ventre. Ce qui augmente la crainte et l’inquiétude chez son adversaire qui se trouve totalement désemparé devant une telle improbabilité. Je ne saurais que trop vous conseiller de regarder cette œuvre phare, qui est un des films de samouraïs les plus importants de l’Histoire du cinéma. Il fait partie, entre autres, des films qui ont inspiré Sergio Leone pour ses Western Spaghetti, mais il est surtout intéressant par rapport au portrait qu’il dépeint du samouraï, très éloigné de l’idée romantique qu’on a d’habitude… Mais je m’égare, revenons à nos moutons.

https://www.youtube.com/watch?v=L6tp8r0E68w

En ce qui concerne le Karaté, lorsqu’on observe les katas, on s’aperçoit qu’il y a régulièrement des mouvements de mains sur les côtés, comme quelque chose que l’on écarte ou une porte qu’on ouvre pour ensuite y rentrer, suivi d’un coup. L’idée est d’abord d’ouvrir, puis d’entrer. Ou alors d’entrer (ou forcer l’entrée), pour justement créer de soi-même l’ouverture.

https://www.youtube.com/watch?v=y2cLXDNXY70

Là est l’approche Karaté ou des arts martiaux en général, qui ont continuellement recours à la force. L’approche de l’aïkido est tout à fait différente. Entrer dans l’ouverture ne se fait jamais avec force, mais toujours en accompagnant le mouvement du partenaire. Dans les mouvements appelés « Taï  Sabaki », il y a les Irimi et les Tenkan . Ceux qui nous intéressent ici sont les Irimi, qui veulent dire « Entrer », « Pénétrer ». Le Tenkan, qui signifie « contourner », « éviter », se fait surtout quand il n’y a pas d’ouverture chez le partenaire. Le mot « Irimi », d’après l’explication de de Maitre Tamura[1], est constitué de deux idéogrammes : La signification du premier « Iri », est « Passer le seuil d’une porte » et le second « Mi », renvoie à l’image du fœtus dans le ventre de sa mère. Il ne s’agit pas de créer une ouverture pour détruire, mais de créer une ouverture pour faire un avec son partenaire[2].

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(Fuuuuusion ! )

L’idée est toujours de mettre fin à l’agressivité en saisissant l’ouverture, non pas pour vaincre, mais pour y faire entrer de la compassion et de la bienveillance, dans le but de mettre fin au combat sans sans qu’il n’y ait de vainqueur et de vaincu.

https://www.youtube.com/watch?v=RfbT1UTDEHI

 

Ouverture spirituelle et ouverture physique

Aujourd’hui, il est courant d’entendre dans la vie de tous les jours qu’il est important « d’avoir l’esprit ouvert ». D’aucuns diraient que c’est une notion de hippie ou de bisounours, d’autres diraient qu’avoir l’esprit ouvert, c’est consentir à tout, sans discernement critique. Oui, sans doute que l’esprit critique est le plus important. Néanmoins, pour avoir un esprit critique aiguisé, ne faut-il pas d’abord accueillir l’idée, pour pouvoir ensuite en faire le tour et réellement la comprendre ? Sans compréhension, il n’y a pas de véritable remise en question. Il n’y a qu’un consentement ou un refus. Cela renvoie à la manière dont le philosophe et théologien Paul Ricœur[3] aborde la nécessité de Saint-Anselme de croire avant de comprendre, contrairement à d’autres théologiens qui affirmaient qu’il fallait comprendre pour croire. La manière dont Ricœur interprète cette nécessité[4] est qu’il faut accorder un minimum de crédit, de bienveillance ou de bonne foi, au récit que l’on s’apprête à lire ou à entendre, pour ensuite le comprendre. Au contraire, si on l’aborde  avec réticence et l’a priori que c’est mauvais en soi, on juge avant de comprendre, ce qui rend le jugement fallacieux. C’est donc suite à ce raisonnement que j’affirme qu’il est plus que jamais important, surtout avec l’époque que nous traversons aujourd’hui, d’enseigner à nos enfants et à nous-mêmes de rester ouverts d’esprit. Encore faut-il savoir ce que cela veuille vraiment dire.

                « Il dit encore, à l’adresse de certains qui se flattaient d’être des justes et n’avaient que mépris pour les autres, la parabole que voici :

10 « Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l’un était Pharisien et l’autre publicain.

11  Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui–même : “ Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ;

12 je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers. ”

13 Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : “ Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! ”

14 Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. »

(Évangile selon Luc, chapitre 18, versets 9 à 14, parabole du pharisien et du publicain.)

L’ouverture est un acte de consentement. C’est un premier pas vers l’éveil et la paix intérieure. Quand il y a méfiance envers le monde extérieur, il n’y a que de la lutte et pas de place pour la bienveillance ou la compassion, conditions sine qua none de la paix. De même que le pharisien tente de se justifier devant Dieu en argumentant sur le fait qu’il est un homme bon, il ne fait rien d’autre que se comparer aux autres hommes. Autrement dit, il ne tente pas de montrer à quel point il est bon, il tente de se convaincre qu’il est meilleur que les autres. C’est-à-dire qu’il base son rapport à autrui sur une compétition dont Dieu serait l’arbitre. L’autre n’est pas un compagnon ou un camarade, c’est un rival. Tandis que le publicain, en s’abandonnant totalement au jugement de Dieu, accepte totalement le regard qui peut être posé sur lui. Autrement dit, il s’accepte tel qu’il est.

Que l’on ne s’y méprenne pas. Je ne dis pas qu’il n’y a jamais de raison d’être méfiant envers quelqu’un et de faire comme si personne ne pouvait jamais être malveillant envers vous. Si je pensais ça, je ne pratiquerais pas d’arts martiaux. La méfiance est parfois légitime, mais elle doit toujours être accompagnée d’un minimum de bienveillance et de compassion, pour la simple et bonne raison que sans ces sentiments, il est tout simplement impossible de créer l’opportunité de régler ses troubles pacifiquement.

Jusqu’ici, j’ai parlé dans cette partie de l’ouverture spirituelle, de la capacité intellectuelle et psychologique, à s’ouvrir à des idées et au regard des autres. Mais cette capacité ne peut être développée, en un sens, que grâce à un travail sur le corps. Le corps, lui aussi, a besoin d’être ouvert. Inconsciemment, en temps de méfiance et de malaise, notre corps adopte des gestes et des postures qui manifestent extérieurement ce qui se passe intérieurement[5]. L’esprit ne peut être totalement ouvert que si le corps est réellement relâché. Les tensions révèlent une méfiance, souvent inconsciente, et d’une appréhension de l’inconnu. Plus l’on travaille sur nos tensions, plus nous agrandissons notre capacité à  nous ouvrir au monde extérieur. Que ce soit par le biais de pratique des arts martiaux, de la méditation, de la sophrologie, autres pratiques sportives ou légèrement physiques comme la gymnastique douce, vous assouplissez votre corps et l’entraînez à moins craindre le monde extérieur.

L’ouverture dans l’univers de Dune

                Que ce soit dans la Tao, le stoïcisme ou même dans l’œuvre de Spinoza[6], il y a une idée constante qui nous dit qu’il est vain de lutter contre le monde ou les éléments extérieurs, qu’on ne peut les surmonter ou les traverser que si on accepte leur existence et que l’on consent à vivre avec, liés à eux.  Bien que la peur soit un élément intérieur, elle est toujours le produit, la conséquence d’un élément extérieur. La peur est toujours accompagnée d’un objet, l’angoisse étant définie comme une peur sans objet, elle est, à plus proprement parler, la peur dont l’objet est inconnu ou la peur de l’inconnu. La peur est un sentiment négatif, elle crée un malaise au sein même du corps. Quand elle devient panique, elle fait perdre l’ensemble des capacités intellectuelles et physiques. De tous temps, l’homme qui a survécu a toujours été celui qui a été capable de surmonter ses peurs. Mais lutter contre elle ne revient qu’à la rendre plus forte et à la transformer en panique. Le premier pas vers la victoire contre la peur est d’accepter sa présence.

Dans la saga de Frank Herbert Dune, on trouve un ordre matriarcal appelé le « Bene Gesserit », qui grâce à la consommation de «L’Epice » a atteint un niveau inégalé en matière de développement spirituel et physique. Parmi leurs secrets, on trouve le « Prana Bindu » : ensemble de techniques respiratoires visant à décupler les capacités physiques et intellectuelles, mais aussi un ensemble d’enseignements adressés à l’ensemble des sœurs et des adeptes, basés sur des mantras et des litanies, dont celle contre la peur.

https://www.youtube.com/watch?v=XLCzAywvgQ4 [7]

En analysant de plus prés cette litanie, on s’aperçoit qu’elle va parfaitement dans le sens de l’enseignement du Tao ou du stoïcisme. En effet, cette litanie ne propose rien d’autre que de s’ouvrir à la peur, de manière à la laisser passer sans la retenir, ni lutter contre elle. Elle n’est qu’un état passager, qui n’altère que temporairement notre individualité et ne nous définie nullement. Accepter la présence de la peur, c’est la première étape vers le consentement à l’existence de l’objet même de la peur. Consentir à la présence et à la proximité de cet objet, c’est vaincre la peur. Et à la fin, il n’y a rien d’autre que « moi ». Tout au long des six tomes que constituent la saga de Frank Herbert, il y a comme une tentative de description de méthodes employées par les personnages pour se dépasser eux-mêmes. L’une des plus récurrentes est d’abord de s’efforcer à accepter les choses telles qu’elles sont, avant même de tenter d’agir sur elles, de les modifier, de s’en servir ou de simplement vivre avec elles.

Alerte au divulgâchis ! (Peut-être devriez-vous sauter ce paragraphe si vous aviez entrepris de lire les livres. Rendez-vous à la conclusion !)

Dans le tome 3, intitulé : Les Enfants de Dune, le jeune Leto échappe de peu à une tentative d’assassinat et doit, pour semer définitivement ses poursuivants, se réfugier dans le fameux désert de la planète Arrakis, connue aussi sous le nom de Dune. Le climat de ce désert est si extrême qu’on ne peut y survivre sans une certaine quantité de matériel, notamment une combinaison bien spéciale, qui recycle l’eau du corps, afin d’éviter le dessèchement et une rapide mort de soif. Initié aux techniques de survie dans le désert, le jeune garçon sait ce qu’il doit faire pour rester en vie. Seulement, il est d’abord rudement éprouvé par les conditions climatiques. Il tente de lutter et doute de lui. Puis il a une révélation, il comprend que s’il cherche à lutter contre le désert, le désert le vaincra et il mourra. Par contre, s’il apprend à aimer le désert, il n’a plus besoin de lutter contre lui, fait corps avec le désert et parvient à y vivre. Aimer le désert, c’est donc s’ouvrir à lui, vivre avec lui. Ce passage est une magnifique leçon de stoïcisme et une parfaite illustration de ce qu’entend Sénèque, quand il écrit : « La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie. »[8]

Ces éléments narratifs démontrent une foi inébranlable de Frank Herbert en ces valeurs et ces pratiques. Puisque les personnages qui prennent les devants et agissent de manière efficace sur les événements, que ce soient les Atréides ou les « sorcières » du Bene Gesserit, parviennent à ce résultat, car justement ils apprennent à surmonter l’adversité, en s’efforçant d’abord de l’accepter. Mais cela aussi au détriment de personnages moins avancés dans ces domaines et souvent trop confiants en leur position avantageuse, leur force de frappe ou leurs avancées scientifiques, comme les Harkonen, le Bene Tleilax, ou les honorées matriarches, rêvant de prendre la place du Bene Gesserit, mais très promptes à la colère et souvent incapables de se maitriser.

Conclusion :

Quand j’ai écrit l’article sur le concept de centre, j’ai fait le choix de partir d’une réflexion philosophique pour venir à des considérations sur la pratique des arts martiaux, afin de montrer comment une réflexion peut conduire à préférer telle approche ou telle pratique. Ici, j’ai surtout fait le choix de prendre le chemin en sens inverse, afin de montrer aussi, à quel point la pratique des arts martiaux peut influencer notre vision des choses et nous inciter à voir le monde sous un nouvel angle, à comprendre différemment des idées ou des thèses, qui jusque là, ne semblaient pas aussi importantes.

Ce qu’il faut retenir ici, c’est l’idée qu’il est bénéfique, pour soi et pour les autres de savoir s’ouvrir au monde et à l’autre, que cela ne signifie pas nécessairement abandonner toute méfiance. Mais surtout, que l’ouverture permet d’accueillir d’avantage de choses et d’en avoir une meilleure compréhension. D’un point de vue strictement martial, cela ne veut pas dire qu’il faille pratiquer et combattre sans garde, de façon totalement ouverte. Ce genre ne pratique n’est pas à la portée des débutants, mais de pratiquants suffisamment confirmés pour prétendre au niveau de maître et qui ont suffisamment d’expérience pour savoir jusqu’où et de quelle manière ils peuvent se permettre de laisser des failles dans leur garde. Néanmoins, il est du simple bon sens de se méfier de certaines pratiques et de certains enseignements, mais aussi de se remettre en question si, votre propre pratique ne contribue qu’à renforcer votre agressivité et votre hostilité envers le monde extérieur. Si les arts martiaux ne vous apaisent pas et ne vous aident pas à vous sentir mieux, c’est peut-être que vous n’êtes pas faits pour eux ou que l’essentiel vous échappe.

 

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Nobuyoshi_Tamura

[2] Nobuyoshi Tamura : « Aïkido » (édition 1986) (Cet ouvrage n’est pas malheureusement plus édité)

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Ric%C5%93ur

[4] Paul Ricoeur : « Vivant jusqu’à la mort », édition le Seuil.

[5] Joseph Messinger : « Ces gestes qui vous trahissent » (Edition J’ai lu)

[6] Gilles Deleuze, cours audio : « Spinoza : Immortalité et Eternité » (Partie sur les trois genres de connaissance) (édition Gallimard)

[7] Cet extrait de l’adaptation de David Lynch met en scène l’une des premières occurrences de la litanie dans le récit. Le film est quasi-unanimement rejeté par les fans de la saga, car ne rendant pas assez compte de la richesse de l’univers et la trame narrative bâclée, surtout à la fin, fait que ce film est quelque peu loupé. Si vous voulez bien connaitre Dune, je ne peux que vous conseiller de lire les livres. Néanmoins, j’ai de la sympathie pour ce film, surtout pour sa musique.

[8] Citation supposée apocryphe.

Cartographie des arts martiaux : Le Jujitsu

Cartographie des arts martiaux : Le Jujitsu

Japon, 1904, Charles Parry, citoyen britannique enseigne l’anglais au Collège de Sendai. Alors qu’il voyage en première classe dans un train, il s’inquiète de la présence d’un petit vieil homme, très pauvrement vêtu. Mesurant moins d’un mètre cinquante, ce dernier porte une vieille tenue traditionnelle très abimée, un chapeau rond et de hautes sandales en bois. Charles Parry alerte alors le contrôleur, convaincu d’avoir affaire à un fraudeur qui n’a pas sa place en première classe. Le contrôleur se dirige vers le vieil homme et lui demande son billet. Irrité par le fait d’être soupçonné de fraude, le vieil homme demande pourquoi il est le seul dans le wagon qu’on contrôle, le contrôleur désigne du doigt l’enseignant britannique, rendant compte de ses inquiétudes. Le vieil homme se dirige vers ce dernier et exige des excuses. Du haut de ses un mètre quatre-vingt-dix, le sujet de sa majesté se lève, convaincu que sa taille et son regard menaçant suffiront à intimider le petit homme à l’apparence chétive. Or celui-ci ne se laisse pas impressionner. Sans prévenir, il saisit le colosse et le projette à travers le wagon. Réalisant ce qui vient de lui arriver, l’enseignant britannique retourne vers le vieil homme, se met à genoux, demande pardon et l’implore de le prendre comme élève. Il devient alors le premier élève étranger de Takeda Sôkaku, dernier membre d’une longue lignée de samouraïs et grand maitre de Ju-Jitsu, maitrisant le style « Daitô Ryû »[1].

L’ancêtre commun du Judo et de l’Aïkido.

Si j’ai choisi d’introduire cet article par cette anecdote, c’est principalement pour deux raisons. La première est qu’elle est un moyen amusant de montrer de quelles manières les occidentaux pouvaient parfois découvrir les arts martiaux japonais, en visite dans un pays depuis peu (non sans contrainte[2]) ouvert sur le monde extérieur. La deuxième raison est que parmi les 30 000 élèves que Maitre Sokaku a eus au cours de sa vie, se trouvait un fameux jeune homme nommé Morihei Ueshiba, avant qu’il ne devienne le célèbre Maitre Ueshiba, fondateur de l’Aïkido.

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(Maitre Sôkaku à l’âge de quatre-vingt ans, lors d’une démonstration de Jujitsu Daitô Ryû.)

Néanmoins, ce n’est pas de cette manière que l’Occident, via la Grande Bretagne, a découvert le Jujitsu. En effet, dés 1898, un certain Edward William Barton-Wright importe en Angleterre le fameux « art de la souplesse »,  et s’en sert pour créer son excentrique  « bartitsu », savant mélange de Jujitsu, de boxe anglaise, française et de lutte, une sorte de première esquisse de MMA.[3] Par ailleurs, je vous invite à lire cet excellent article du Monde diplomatique, sur le rôle qu’a pu  jouer le Jujitsu, dans le combat des suffragettes afin d’obtenir le droit de vote pour les femmes :  http://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/PARIS_CLAVEL/54739[4]

Mais revenons à nos moutons. Si maitre Sôkaku a eu pour élève Morihei Ueshiba, un autre grand nom des arts martiaux a aussi fait ses premières armes auprès de grands maitres de Jujitsu, Jigoro Kano fondateur du Judo. Mais comment se distinguent donc ces trois disciplines ?

Judo (Voie de la souplesse)

En décidant d’appeler sa discipline : voie (Do) plutôt que de garder le mot Art ou Technique (Jutsu), Jigoro Kano a fait le choix de trier et d’adapter les différentes techniques et prises enseignées par le Jujitsu afin de, non seulement les rendre plus compréhensibles et adaptables à un publique étranger et surtout occidental, mais aussi d’en faire un mode d’instruction pour les plus jeunes, afin de leur enseigner des valeurs comme la bienveillance, le respect, la discipline et la paix entre les hommes. Le Judo finit même par être enseigné dans les écoles. Il comprend donc une série de techniques offensives et défensives, qui exclue totalement les coups, et permet d’aborder le combat de façon plus ludique, dans la perspective d’être mise aussi sous forme de compétitions. Car Jigoro Kano a été le premier japonais à faire partie du comité international olympique et a donc modelé sa discipline afin qu’elle puisse faire partie des jeux olympiques.[5]

Aïkido (Voie de l’harmonie des énergies)

                En prenant un chemin très différent, Morihei Ueshiba a voulu faire de son Aïkido un instrument de sa philosophie pacifiste, assez différente de celle de Kano. En effet, l’Aïkido ne comprend aucun coup offensif et n’enseigne qu’à parer et éviter les attaques d’individus malveillants. Cette absence de coups offensifs ne permet pas non plus la mise en place de compétition. Ce que Maitre Ueshiba refusait catégoriquement. Car ce dernier tenait énormément à ce que ses élèves abandonnent leur ego, étudient l’Aïkido en toute humilité et prennent plaisir à transmettre leurs compétences aux débutants et les nouveaux venus, dans un esprit de convivialité et de partage. Car la présence de compétition, l’aspiration à l’obtention de titres, de médailles ou au statut de champion engendrent des velléités et la concurrence incite les pratiquants à se comparer entre eux, à devenir égoïstes, à garder pour eux ce qu’ils apprennent, plutôt à qu’à partager. Tout ceci ne peut créer que des rivalités, du mépris pour l’autre et une affirmation de soi au détriment du groupe. Pour maitre Ueshiba, il ne peut avoir de paix dans une société où règne une telle atmosphère.[6] Néanmoins, Maitre Ueshiba et Maitre Kano avaient un profond respect pour le travail de l’autre. Maitre Kano est même allé jusqu’à envoyer certains de ses élèves chez Ueshiba.

Jujitsu (L’art de la souplesse)

Dans l’Histoire des arts martiaux japonais, les techniques ancestrales portaient plutôt le nom de « Jutsu », que l’on peut traduire par (art), tandis que les écoles plus récentes utilisent le terme « Do », qui se traduit par (Voie). La raison est que les premiers arts martiaux avaient surtout pour but de former  des guerriers, afin de les envoyer sur le champ de bataille. L’époque des samouraïs et du combat au sabre étant révolu, les arts martiaux destinés à un public civil visent plus à enseigner une philosophie de vie liée à une pratique sportive, qu’à enseigner le meilleur moyen de tuer son ennemi, comme cela se fait dans l’armée. « Do », étant la transcription japonaise du mot chinois « Tao », qui signifie « voie », fait ouvertement référence à la réflexion philosophique qui pousse un maitre à enseigner telle technique, de telle manière à ses élèves. C’est la raison pour laquelle maitre Ueshiba, après avoir appelé sa discipline Aïkijutsu, a finalement décidé de l’appeler Aïkibudo, avant d’opter définitivement pour Aïkido.

Vous l’aurez donc compris, les arts martiaux se finissant par « Jutsu », visent à préserver un savoir ancestral, proche de ce qui était enseigné aux guerriers, du temps des samouraïs. C’est par simple déduction que l’on comprend que « Ju » désigne souplesse. Mais ce que les japonais entendent par « Ju » est différent du sens de « souplesse » dans le sens gymnastique du terme. « Ju » est synonyme d’adaptation ou de « non résistance ». Cela consiste donc à ne pas opposer de force à celle de son adversaire, mais à s’adapter et s’accommoder de sa force, de manière à la retourner contre celui qui l’exerce. Cela implique bien évidemment une souplesse proche de celle à laquelle inspirent les gymnastes, et la préparation physique pendant l’entrainement va dans ce sens. L’entrainement de Jujistu met en place ce qu’on appelle aussi en Judo des « Randori »[7], sorte de combat libre. Là où le judo n’autorise aucun coup, le jujitsu, lui, l’autorise. Il arrive parfois, dans ces exercices, que le maitre autorise le recours aux coups de poings, coups de pieds, voir même aux coups de genoux. Mais à l’instar du karaté, le coup n’est pas considéré comme un moyen en soi, afin de terrasser son adversaire. Il n’est qu’un moyen de gagner du temps ou de changer de tactique, voire de technique, quand telle saisie ou telle attaque ne fonctionne pas. Mais ils ont surtout pour fonction d’entrainer le pratiquant à parer aussi ce genre de coups. Le Jujitsu a été crée pour les samouraïs, afin de s’entrainer dans un contexte de combat à mains nues ou lorsque l’on se retrouve désarmés, face à un ou plusieurs adversaires armés. Les coups ne sont présentés, comme à l’Aïkido, que sous  forme d’Atemi, afin de gagner du temps, quand la technique n’a pas fonctionné ou pour la mettre en place. Mais la véritable essence du Jujitsu se trouve dans les saisies, les projections, les clés de bras, de jambes, les immobilisations et prises de soumission.

https://www.youtube.com/watch?v=gPUFNhevXK0

Le Jujitsu brésilien

S’il vous prend l’envie de pratiquer du Jujitsu, en cherchant un club, vous allez sûrement avoir le choix entre un club de Jujitsu traditionnel, un club qui enseigne à la fois le judo et le jujitsu (ce qui a été le cas du club dans lequel je suis allé) et un club de Jujitsu brésilien. La différence entre les deux premiers clubs et le dernier, c’est que le jujitsu brésilien est une discipline plus récente qui comprend une nette différence. De la même manière que la lutte brésilienne, plus connue sous le nom de « Luta livre »[8],  le Jujitsu brésilien se pratique en grande partie au sol. En effet, dans ces deux disciplines[9], le sol est considéré comme un atout, un instrument à utiliser pour maitriser son adversaire. Le but est donc de l’emmener le plus rapidement possible au sol, où les clés de bras et de jambes vont être utilisées afin de le soumettre et de le mettre hors d’état de bouger et d’attaquer.

https://www.youtube.com/watch?v=4H5yhR33Fbs

 

Réflexion sur la préparation physique

Avant de commencer à pratiquer sérieusement l’Aïkido, je ne voyais que la préparation physique comme un échauffement, ce qu’il fallait faire avant de pratiquer sa discipline, afin de se mettre en condition. Or, je me suis rapidement rendu compte que cette vision était très limitée et ne  reflétait qu’une non compréhension de ce que je venais apprendre en rentrant dans un dojo. En effet, plus je suis allé essayer d’autres arts martiaux, plus j’ai été frappé par la douceur de la préparation physique en Aïkido. L’enseignement de l’Aïkido porte sur le relâchement, la détente, le contrôle de soi, l’importance de rester calme en toute circonstance. D’autant plus que Chris Peytier le souligne lui-même[10], moins de 10% des pratiquants des arts martiaux assurent s’être servis de leur discipline dans la rue. Et parmi ces 10%, encore moins de 10% d’entre eux affirment avoir eu recours aux techniques apprises au dojo. Ce qui fait que moins de 1% des pratiquants s’est vraiment servi de ses compétences martiales pour se battre un jour. Parmi les 10% de pratiquants qui ont répondu oui, ils expliquent surtout qu’ils se sont servis de leur sang froid, de leur capacité à garder le contrôle d’eux-mêmes, pour apaiser la tension ou l’agressivité de l’éventuel antagoniste, afin de privilégier la communication, au détriment de la violence. Cette incroyable statistique me convainc que la préparation physique est au cœur même de la pratique, d’autant plus que c’est surtout elle qui aide à s’améliorer dans la gestion de son quotidien. C’est donc rapidement que j’ai compris que les exercices respiratoires, les exercices d’assouplissement et de relaxation faisaient partie de l’essence même de l’Aïkido. D’autant plus que vous vous en servirez bien plus dans votre quotidien, que n’importe quelle technique de clés de bras ou de projection. On retrouve cela, un petit peu, mais nettement moins dans la préparation physique des arts martiaux, où l’échauffement prend très vite la fonction d’entretenir aussi l’endurance et la force des pratiquants. Autant n’importe qui, quelque soit son âge et sa condition physique, peut facilement trouver ses aises à l’Aïkido, en matière de dépense physique, autant dans la plupart des autres arts martiaux, je vous conseille de vous préparer à souffrir, au moins au début, et de bien travailler votre cardio, d’autant plus que les séances de combat libre sont très vite épuisantes. Sans un minimum d’endurance et de capacité à respirer, vous ne tiendrez pas longtemps. Il faut une volonté de fer pour persévérer et vouloir aller jusqu’au bout, quand après les premiers entrainements, vous rentrez chez vous avec la sensation d’être cassés de partout, la cardio et les connaissances en récupération après un effort sont nécessaires, pour la pratique d’un art martial. Mais je ne peux que vous conseiller d’aller essayer. Vu la multitude d’arts martiaux qui existent à travers le monde, il doit bien en avoir un, quelque part, qui vous convient et correspond à vos attentes, vos préférences, vos besoins et vos réflexes naturels. Je ne sais pas si je pourrais un jour tous les essayer afin d’en faire une cartographie exhaustive, mais c’est mon projet, de vous en faire connaitre un maximum, afin de vous aider à trouver l’activité qui vous convient. Bien évidemment, comme ma préférence va toujours vers l’Aïkido, mes remarques seront toujours subjectives et ne pourront jamais vous donner d’idée claire de ce que telle ou telle discipline pourra vous apporter à vous-même. Je ne peux donc que vous conseiller d’essayer par vous-même.

Mes impressions sur le Jujitsu

Tout d’abord, j’ai pris énormément de plaisir. Je me suis retrouvé dans cette discipline, car elle correspond à l’approche que je me fais de la meilleure manière de réagir dans telle ou telle situation. On ressent clairement les similarités avec l’Aïkido, d’autant plus que le maitre que j’ai rencontré connaissait très bien la discipline de Maitre Ueshiba et avait parfois recours à des comparaisons pour mieux me faire comprendre certaines techniques. Néanmoins, les techniques de projections demandent un peu plus de recours à la force, ce qui semblait à la fois plus facile que l’Aïkido, car le non recours total à la force n’est pas une démarche naturelle, mais aussi plus éprouvant et son aspect offensif me déconcertait un peu, moi qui ai pris l’habitude d’attendre l’attaque de mon partenaire et de ne pas prendre l’initiative. Ce que j’ai beaucoup apprécié, vis-à-vis de l’Aïkido,  c’est la pratique du Randori, pendant la séance. Chose qui ne se pratique pas de la même manière en Aïkido. C’est un très bon moyen de s’évaluer soi-même et de savoir où on se trouve. Bien que je me sois fait écraser comme une crêpe par un ceinture noire de judo, j’ai aussi découvert, en pratiquant avec des personnes d’un niveau similaire au mien, qu’un an d’Aïkido a porté ses fruits sur bien des aspects. Cette leçon a été très constructive et m’a donné plusieurs indications sur les points forts à renforcer et les aspects à travailler, pour continuer à m’améliorer. Bref, je vois beaucoup mieux le chemin qui me reste à parcourir. Un grand merci aux pratiquants du club, qui ont accepté de passer ce moment avec moi.

 

[1] « Ueshiba l’invincible » (John Stevens, Editions Budo, pages 27 et 28.)

[2] https://www.youtube.com/watch?v=iK_aphLDEUs

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Arts_martiaux_mixtes

[4] Dans un prochain article sur le besoin de se rapprocher de la Nature, je parlerai de l’implication de Maitre Ueshiba ainsi que d’autres maitres d’arts martiaux dans des causes sociales et écologiques. Plus qu’on ne pourrait l’imaginer, les arts martiaux ont joué leur rôle, eux aussi, dans certaines causes et luttes sociales.

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Jigor%C5%8D_Kan%C5%8D

[6] « L’aïkido, tout au contraire, refuse de devenir un sport de compétition et rejette toute forme de tournois ou d’épreuves impliquant des catégories de poids, la comptabilisation des victoires et le couronnement des champions. Tout ceci ne sert, en effet, qu’à favoriser égotisme, vanité et mépris des autres. La tentation est grande de s’impliquer dans les sports de compétition car tout le monde souhaite être gagnant, mais rien n’est plus préjudiciable au budô qui n’a d’autre objectif que de libérer l’homme de lui-même et de son ego pour qu’il comprenne enfin ce qui est réellement humain. » (Kisshômaru Ueshiba, L’esprit de l’aïkido, éditions Budo, page 21.)

[7] En Aïkido, le Randori désigne un exercice où le pratiquant doit faire face à plusieurs partenaires.

[8] http://www.grappling.fr/lutalivre.php

[9] https://www.youtube.com/watch?v=b3Mlao2iHo0

[10] Chris Peytier : « De l’Aïkido au systema » (Editeur Guy Trédaniel, page 120 chapitre « A quoi servent les arts martiaux ? ».

 

Littérature et essais : De l’Aïkido au Systema de Chris Peytier

Littérature et essais : De l’Aïkido au Systema de Chris Peytier

« Si, en revanche, on reste dans le « nous tous » au lieu de « nous contre eux », alors, la notion d’adversaire n’existe plus.Si l’on voit la personne en face comme potentiellement quelqu’un avec qui on pourrait tranquillement être en train de manger, on active le système nerveux parasympathique, avec l’émission d’ocytocine, comme nous l’avons vu. Dés lors, notre peur se rationalise, notre agressivité diminue. La personne en face ne ressent pas d’agressivité, et donc sa propre peur recule, diminuant également son agressivité. La frappe, si frappe il y a, ne va pas énerver, mais au contraire donner un sentiment qu’il n’est pas utile de continuer à se battre.
Au fond, on retrouve là tout à fait le message d’O sensei, fondateur de l’aïkido, lorsqu’il disait: « Il faut envelopper votre ennemi dans votre cœur », ou « il faut faire un avec votre adversaire ». Dés que l’on est dans le « nous », et non plus dans le « nous contre eux », la dynamique d’un conflit est entièrement modifiée. Si l’humanité se considérait comme une seule grande tribu, le niveau d’agressivité sur notre planète s’en trouverait immensément réduit. »

Chris Peytier est un maitre d’arts martiaux français qui a enseigné l’aïkido durant plusieurs années. Pratiquant aussi l’art du sabre et pleinement investi dans les disciplines japonaises, il ressent en l’an 2000, une certaine lassitude à l’égard de ces disciplines, qu’il finit par juger contraignantes et ne laissant pas assez de place à la créativité. C’est à ce moment qu’il découvre, sous les conseils d’un de ses élèves, le « Systema », art martial d’abord enseigné à certaines troupes de l’armée russe et qui connait en ce début de XXIe siècle un essor et une démocratisation, grâce à son représentant mondiale Mikhail Ryabko[i]. Au premier visionnage de vidéos de démonstrations, le premier mot qui vient à l’esprit de Chris Peytier est : « Liberté ! »

 

Un exposé sous forme de récit autobiographique

   De l’Aïkido au Systema est un ouvrage pédagogique qui vise à expliquer les différences et les points communs entre l’aïkido, relativement connu aujourd’hui, et le Systema qui commence tout juste à sortir de l’ombre. Moi-même, je n’avais pas conscience de son existence, jusqu’à ce que ce livre tombe d’une étagère de librairie pour se retrouver entre mes mains. Très intrigué par ce que je lus sur le quatrième de couverture, je décidai de le rajouter aux quelques autres ouvrages sur la spiritualité ou les arts martiaux que je m’apprêtais à acheter. Heureux hasard ou signe du destin, j’ai dévoré ce livre en un rien de temps, tant la plume simple et efficace relate une mine d’informations et d’enseignements qui ont profondément changé ma perception de l’aïkido et des arts martiaux en général. Le livre se présente sous forme de courts chapitres, comprenant chacun une réflexion sur une événement vécu par l’auteur, toujours illustré par des citations de maitres d’arts martiaux, de philosophes ou d’hommes éminents, tels que : Morihei Ueshiba[ii], bien entendu, mais aussi Gandhi, Martin Luther King, Pablo Picasso, Aldous Huxley, Albert Einstein… Et se finissent toujours par une petite synthèse récapitulative des principales idées à retenir.

Aujourd’hui, Chris Peytier n’enseigne plus l’aïkido, mais le systema, discipline à laquelle il se consacre entièrement. Pour comprendre ce brusque changement qui s’est opéré au début des années 2000, le maitre français narre son propre parcours, de son initiation à l’aïkido dans son adolescence jusqu’à sa décision de ne se consacrer plus qu’au systema, en passant par ses voyages au Japon où il a pratiqué au centre mondial aïkikaï et les quelques événements qui lui sont arrivés un peu partout dans le monde et où il a pu constater que sa pratique des arts martiaux ont joué un rôle déterminant dans sa manière de réagir qui peut être qualifiée de tout à fait salutaire. La démarche de présenter cette « étude comparée » sous la forme d’un récit autobiographique est justifiée par le fait que ce choix, celui de changer de discipline, est le sien et qu’il a été déterminé par un parcours qui lui est propre. Nous ne pouvons donc comprendre ce choix que si nous savons ce qui l’a conduit à le faire. Car loin de lui l’idée de dénigrer l’aïkido au profit du systema, sa réflexion vise surtout à présenter les différents aspects de ces deux disciplines et ce que l’on peut y trouver, pour justement guider le lecteur qui pourrait se demander quelle discipline correspond le mieux à ses besoins. A aucun moment, je n’ai ressenti la moindre dépréciation de l’aïkido.

 

De la recherche du geste parfait à la quête de liberté

La plupart des gens qui ont pratiqué des disciplines japonaises ou chinoises savent qu’elles sont basées sur la recherche du geste parfait. Les entrainements, les katas, les répétitions inlassables du même geste se font toujours en vue d’un désir d’atteindre la perfection. Que ce soit le karaté, le judo, le kendo, l’aïkido… Toute pratique est décomposée en une série de mouvements bien définis, rangés dans différentes catégories, avec des noms qui leur sont propres. Chaque mouvement sera donc répété jusqu’à sa maitrise ultime. Seulement arrivé à cette maitrise ultime, le maitre pourra dire à son élève qu’il peut entrer dans ce qu’on appelle « la pratique libre », où il peut se détacher de son enseignement pour pratiquer son art comme si tout geste a toujours été naturel pour lui-même. Mais atteindre ce stade de pratique libre prend énormément de temps dans la tradition extrême orientale. Le maitre peut parfois attendre plus de vingt ans, avant de décréter son élève libre dans sa pratique. Après des décennies de pratique,Chris Peytier semblait avoir atteint les limites de sa  progression dans la découverte des aspects avancés de ces disciplines. Cependant, il ne ressentait toujours pas ce sentiment de liberté dans sa pratique, alors qu’il était toujours à répéter et corriger encore et encore ce qu’il connaissait pourtant par cœur. C’est au moment où il a commencé à ressentir ce sentiment de lassitude que le systema est rentré dans sa vie. La découverte tombait à pique, pour lui qui cherchait de la liberté dans sa pratique, voilà qu’il découvre un art martial qui ne comprend aucun mouvement de base imposé aux débutants et où tout repose sur un travail qui consiste à aider le pratiquant à trouver les mouvements qui conviennent à son propre corps.

 

Deux types d’arts martiaux ou de sports de combat

A la lecture de cet ouvrage, on découvre que les arts martiaux et sports de combat peuvent être classés en deux catégories :

-La première catégorie comprend les arts martiaux qui exacerbent l’agressivité du pratiquant. Comme je l’expliquais dans l’article sur la signification du Yin et du Yang, dans une situation d’agression, tout individu commence d’abord par se crisper et se tendre. Chris Peytier, lui, explique qu’après ce stade, il y a deux manières naturelles de réagir : rester et devenir agressif ou alors prendre la fuite. La très grande majorité des arts martiaux, dont la boxe, le karaté, mais surtout le krav maga qui connait aussi un grand essor depuis quelques décennies, part du principe que de toute manière l’individu devient facilement agressif et qu’il faut donc exacerber cette agressivité et l’exploiter un maximum dans une situation d’agression. En ce qui concerne le krav maga, la méthode d’enseignement a été conçue pour donner rapidement au pratiquant toute une série de réflexes et de techniques, de manière à pouvoir envoyer le policier ou le militaire israélien sur le terrain, seulement après quelques semaines de formation. Le krav maga occulte donc volontairement certains exercices destinés à la respiration ou au relâchement, car ils demandent du temps à être assimilés.

-La deuxième catégorie comprend les arts martiaux qui visent à développer à la fois le corps et l’esprit. L’aïkido et le systema en font partie. Dans cette catégorie, la pratique est pensée à partir de certains préceptes moraux et d’idéaux cherchant à privilégier la paix et l’apaisement des tensions. L’agressivité n’est donc pas souhaitable et tout est fait pour l’écarter un maximum. D’ailleurs, l’idéogramme à l’origine du mot japonais « Budo » ou « Bu-jutsu », signifie littéralement : l’art d’arrêter la lance. Cela peut être compris de deux manières : Arrêter la lance de l’ennemi qui vient vous frapper: le budo authentique serait donc un art martial strictement défensif. Ou alors, cela signifie que le budo authentique doit être considéré comme  étant le fait d’apprendre à se battre de manière à n’avoir jamais besoin de se battre. Ce qui rejoint les propos de grands maitres qui disent que le meilleur des combats est celui qu’on a évité. Ce qui rend les deux interprétations du mot tout à fait compatibles. Vous l’aurez donc compris, cette deuxième catégorie a justement pour objectif principal de libérer l’individu de son agressivité et de ses propres tensions. Chris Peytier définit cette démarche comme une tentative de sortir de la survie, pour justement atteindre la vie et l’épanouissement.

 

Qu’est-ce que le Systema ?

Le systema est un art martial mis au point par l’armée russe, dont le but premier n’est pas, comme l’on pourrait le croire au premier abord, de vaincre son adversaire, mais tout simplement la survie. Si, contrairement à l’aïkido, le systema n’enseigne pas de mouvements de combat de base, qu’enseigne-t-il alors ? L’art martial russe repose sur quatre piliers : La respiration, la relaxation, la structure et le mouvement. Avant de travailler sur des situations de combat, le pratiquant est d’abord initié à des exercices sur sa propre respiration, la réalisation de ces derniers permet de justement atteindre le deuxième pilier et de loin le plus important, aussi bien en aïkido qu’au systema : la relaxation. En aïkido, on appelle cela le relâchement[iii]. Le relâchement ou la relaxation consiste à se libérer de toute pression ou stress, du point de vue psychologique, mais aussi de toute tension dans le corps, du point de vue physique. Le premier pas vers cette relaxation est donc la respiration. Un corps qui respire bien est plus endurant, la bonne respiration apporte aux muscles et au cerveau l’oxygène nécessaire pour un bon fonctionnement de ce dernier, mais permet aussi d’éviter des tensions incontrôlées du muscle. Viennent ensuite des exercices qui aident à mieux percevoir les sensations de notre corps et du coup à mieux sentir où se trouvent nos tensions pour mieux s’en libérer. Vous comprenez donc de quelle manière sont liés les deux premiers piliers, il en va de même pour les deux derniers. Puisque la structure détermine la façon dont nous bougeons. Les exercices liés à ces deux piliers ont donc pour but de nous aider à trouver la manière la plus naturelle et la plus efficace, pour nous, pour nous mouvoir ou tenir le meilleur équilibre, pour justement rester debout et maitre de ses mouvements. Ces exercices peuvent sembler tout à fait théoriques et éloignés de la fonction première des arts martiaux et sport de combat, qui est d’apprendre à se battre. Néanmoins, ces exercices prennent toute leur utilité, une fois que commencent les exercices pratiques où, comme à l’aïkido, chacun va jouer le rôle de l’agresseur ou de l’agressé, de manière à permettre à chacun d’essayer de mettre en pratique ce qui a été vu dans le travail des 4 piliers, tout en expérimentant et en cherchant le meilleur moyen de se sortir de la situation de danger, en ne blessant personne si possible et tout en assurant sa propre sécurité. Comme à l’aïkido, les exercices se font d’abord lentement puis le rythme s’accélère en fonction des progrès des pratiquants. Cette méthode, plus libre dans la pratique et l’application des mouvements, et selon l’auteur de l’ouvrage, permet de progresser plus vite qu’à l’aïkido et de savoir plus rapidement réagir de manière efficace, même pour un débutant.

 

Mes impressions

Comme je le disais plus haut, c’est un livre remarquablement bien écrit. La plume est fluide et très simple. En tant que débutant, je me sentais entièrement concerné par ses explications que je sentais très accessibles. Je pense que même un non-initié aux arts martiaux peut très facilement comprendre le propos de ce livre et le besoin, pour son auteur, de l’avoir écrit en plus du but premier, qui était aussi de faire campagne afin de présenter une discipline encore très méconnue en France. Pour être honnête, j’avoue avoir débuté l’aïkido en cherchant un moyen d’avoir un peu plus confiance en moi-même. Mais à la lecture de ce livre, j’ai compris que mon choix m’a permis d’obtenir quelque chose de bien plus important encore que la confiance en soi, l’envie d’essayer de devenir chaque jour quelqu’un de meilleur et d’avoir le sentiment d’avoir pris la bonne voie pour mieux vivre ma vie. Je fais donc, monsieur Peytier, partie des lecteurs qui font que votre livre a bel et bien été écrit pour quelque chose. Et je vous en suis très reconnaissant pour cela.

En conclusion, je dirais que ce livre m’a donc encore plus déterminé à pratiquer l’aïkido. Car je reste profondément attaché aux rituels propres à l’art de Maitre Ueshiba et à leur signification, que je ne ressens pas encore dans ma pratique le besoin de liberté qu’a pu sentir Chris Peytier et que mon corps a l’air, pour le moment, de parfaitement se satisfaire de ce qu’il apprend (non sans difficulté) en aïkido. Néanmoins, je suis devenu très curieux et très attiré aussi par le systema et ce n’est pas l’envie d’essayer qui me manque. Si un jour j’en ai l’occasion, je ne manquerais pas de relater mes impressions dans un nouvel article.

                Bonus

L’extrait d’un stage animé par Chris Peytier en Tunisie :

https://www.youtube.com/watch?v=BgTwQ-tAYQ8

Les explications et la démonstration d’un maitre portant le nom de Jérôme Kadian (dans un français tout à fait remarquable):

https://www.youtube.com/watch?v=aOthwbKlxJY

La liste des clubs de systema en France, si l’envie de vous inscrire ou d’essayer vous prend :

http://www.globalsystema.fr/cours-systema/

 

 

[i] http://www.systemalyon.fr/rencontre-avec-mikhail-ryabko/

[ii] Fondateur de l’aïkido.

[iii] Voir dans un prochain article : « L’art du relâchement »

Concept de centre

Concept de centre

Il est habituel d’entendre, de la bouche de sages bouddhistes ou d’amis bienveillants, lors de moments de stress, de fatigue ou de burn out, qu’il faut faire un break, prendre le temps de « se recentrer sur soi-même ». Mais que signifie se recentrer sur soi-même? D’où vient cette expression et à quoi renvoie-t-elle?

Le centre métaphysique

En lisant le tao te King[i], on s’aperçoit qu’une expression revient à plusieurs reprises: « centré sur le tao ». Dans un premier temps, cela peut signifier que se centrer sur une chose, c’est renvoyer tous les éléments autres à cette chose première. On pourrait alors croire que se « recentrer sur soi-même », c’est revoir tous les éléments autres, par rapport à nous, un peu à la manière de l’individualisme romantique: « Et moi dans tout ça? »

Non, cette notion de centre renvoie à quelque chose de plus simple et pourtant de moins évident. Non, aucun de vous, ni moi, n’est le centre du monde, le monde peut très bien continuer à tourner sans vous et moi. Mais s’il y a bien quelque chose dont nous sommes chacun le centre, c’est de nos perceptions. Nous sommes au milieu et en plein cœur de toutes nos perceptions et affects. Il y a d’abord vous, ensuite l’ensemble des choses qui entrent dans votre champ de perception et seulement après ce que l’on peut appeler le monde extérieur, sur lequel il est inutile de s’attarder, puisque c’est justement le monde qui est en dehors de nos perceptions et donc, sur lequel, il est impossible d’en dire quoi que ce soit puisque nous n’en percevons rien.

dessin blog

Nous ne sommes peut-être pas le centre du monde. Par contre, vous êtes bien le centre de votre propre monde. Vous êtes le centre vers lequel toutes vos perceptions vont et le centre duquel partent tous vos affects et toutes vos émotions. A partir du moment où ceci est compris, vous comprenez que c’est vous qui produisez la réaction correspondante à chaque perception, qu’elle ne vient pas d’ailleurs. Certaines peuvent sembler bonnes ou agréables pour vous-mêmes, d’autres seront au contraires mauvaises.

On peut ensuite se demander dans quelle mesure peut-on changer ces affects, de manière à aimer tout ce qui entre dans notre champ de perception, de manière à faire de notre propre monde un véritable petit paradis d’où l’on verrait la vie en rose. Mais premièrement: Voir la vie en rose, c’est se rendre aveugle aux autres couleurs. Deuxièmement: Dans un monde idéal où règnerait le libre arbitre, tous nos affects dépendraient entièrement de nous.[ii] Seulement, vous pouvez essayer tant que vous voudrez de modifier la perception de vos affects, ils ne dépendent pas de votre volonté la plupart du temps. Par contre, ce que se recentrer sur soi peut apporter, c’est de prendre le temps de trier vos perceptions tout en vous demandant pourquoi vous réagissez de telle manière à telle perception. Est-il judicieux de réagir de telle manière dans telle circonstance? Est-il important ou utile de réagir à chaque fois? Y-a-t-il d’autres manières de réagir? A ce moment là, vous commencez à accroître votre champ de perception et commencez à percevoir des phénomènes, qui jusque là, n’étaient pas apparus à votre conscience. Vous vous rendez compte qu’il est inutile d’exprimer sa colère ou de la laisser vous submerger dans la plupart des cas, vous commencez à relativiser votre tristesse ou votre frustration, par rapport à des éléments plus essentiels, vous vous dites qu’il y a une bonne leçon et de bonnes choses à tirer de ce qui a pu vous arriver, que c’était le moment de prendre un autre chemin et vous commencez à deviner quels changements apporter à votre vie et vos habitudes.

Le centre physique

                Celles et ceux qui ont déjà l’habitude de méditer savent que la plupart des émotions et des sentiments naissent dans le ventre. La colère, l’amour, la haine, les angoisses, le stress, l’excitation… Toutes les premières esquisses rapportées à ces émotions se sentent dans le ventre, avant de se sentir dans le reste du corps. D’ailleurs, certaines études scientifiques tendent à décrire le ventre comme un « deuxième cerveau ». [iii] Mais les sagesses populaires n’ont pas attendu ces démonstrations scientifiques pour percevoir cet aspect de notre corps. On entend souvent, dans le langage courant, des expressions toutes faites comme « en avoir dans le ventre », « c’est viscéral », quand on parle d’émotions fortes, comme une émotion intense liée à une musique ou une haine si forte envers quelqu’un, que ça en devient inexplicable. Sans oublier les adolescents qui décrivent la première fois qu’ils tombent amoureux, comme ayant l’impression « d’avoir des papillons dans le ventre ». Les personnes sujettes à des crises d’angoisse rencontrent aussi des problèmes liés à l’appétit et à la digestion. Dans Ecce Homo, Nietzsche va même jusqu’à affirmer que l’alimentation a une influence sur nos pensées. Dans les pratiques intenses de méditations, dans le bouddhisme ou le yoga, il est exigé aux disciples de bien se tenir droit, de manière à faciliter la circulation des énergies, justement, entre la tête et le ventre. Dans votre quotidien, lorsque vous rencontrez des angoisses passagères ou des douleurs liées à la digestion, un (auto-) massage du ventre donne parfois des résultats non négligeables quant à la douleur et aux sensations désagréables. Parfois, le simple fait de détendre, de stimuler en douceur la partie endolorie du corps suffit à calmer et apaiser les douleurs.

Si nous sommes nous-mêmes le centre de nos perceptions, le centre de notre corps (donc de nous-mêmes) est bel et bien notre ventre. C’est un constat non seulement anthropologique, mais aussi physique. En plus d’être le point de départ de la plupart de nos sensations, il est aussi notre point d’équilibre, le point à partir duquel nous parvenons à nous tenir debout. Ce constat est central, non seulement dans la méditation, mais aussi dans la plupart des techniques d’arts martiaux.[iv]

Le centre en Aïkido

Dans la plupart des arts martiaux, surtout sino-japonais, le centre est perçu comme une véritable place stratégique à défendre et à tenter de prendre chez l’adversaire. En Wing Chun par exemple[v], il est explicitement enseigné que celui qui perd le combat est celui qui a perdu son centre. La position de garde et les mouvements défensifs visent toujours à protéger le centre dans un premier temps. Si le centre est bien protégé, par extension, le reste du corps l’est lui aussi.

https://www.youtube.com/watch?v=Gy7NQBR86P8

En Aïkido, lorsqu’on apprend l’une des premières techniques montrées aux débutants : «Ikkyo Omote », on nous explique qu’avant de commencer le mouvement de clé de bras qui va conduire à l’immobilisation, il est important de bien « rentrer dans le centre » de Uke. Cette question de centre est plus importante encore en Aïkido, puisqu’on est censé renoncer à faire usage de notre force. Si l’on veut neutraliser notre assaillant, il est important de trouver le meilleur moyen de lui faire perdre son équilibre. Equilibre qui, anatomiquement parlant, se trouve justement dans notre centre, à l’exact endroit où les maîtres situent le « ki », quelques centimètres sous le nombril. « Rentrer dans le centre » va donc consister à placer un pied entre les deux jambes de l’assaillant et dans les environs de l’axe du nombril. La gêne occasionnée sera suffisante pour perturber l’équilibre de l’assaillant et l’élan causé par l’usage de sa force sera suffisant pour le ramener efficacement au sol.

https://www.youtube.com/watch?v=SVdY3AwlH_w

En progressant dans la pratique et quand on commence à comprendre l’importance de mouvements de base appris avant même les mouvements de combat, comme les « Taï Sabaki »[vi] : série de mouvements d’esquive basée sur des quart de cercle ou des demi-cercle accomplis en conservant sa position de garde (Kamae), on se rend compte que la plupart des techniques de projections ne peuvent être efficacement accomplies, si ces mouvements de base ne sont pas maîtrisés. De plus, les mouvements en arc de cercle, avec la force centrifuge, se font difficilement si l’on ne sait pas conserver son équilibre. Et pour justement conserver cet équilibre, il est important d’apprendre à effectuer ces mouvements en conservant son centre dans le même axe, de la même manière que Kisshomaru Ueshiba l’explique dans L’esprit de l’aïkido : plus le centre d’une toupie est immobile, plus longtemps tourne cette toupie sans tomber. Donc plus nos rotations corporelles se font avec notre centre concentré sur le même axe, plus longtemps nous resterons debout, tandis que les attaques maladroites de nos assaillants les ramèneront rapidement au sol.

https://www.youtube.com/watch?v=tLsXsaGlMWQ

En dehors de tout contexte de combat, pour celles et ceux qui ne s’intéressent qu’à l’aspect spirituel de ce blog, je maintiens que ces exercices peuvent être appliqués aussi dans un but purement méditatif. Dans la quête d’une paix intérieure fondée sur une harmonie entre le corps et l’esprit, apprendre à se recentrer sur soi peut se faire grâce à des exercices pour trouver et sentir son propre centre corporel.

 

[i] « Si tu restes au centre et acceptes la mort de tout cœur, tu vivras toujours. » (Poème 33.) « Celui qui est centré dans le Tao peut aller où il désire, sans danger. » (Poème 35.) « Sois conscient lorsque les choses sont déséquilibrées. Reste centré dans le Tao. » (poème 53.)

[ii] Voir article « La signification du Yin et du Yang ».

[iii] http://www.dailymotion.com/video/x1jp95s_le-ventre-notre-deuxieme-cerveau_news

[iv] Lorsque j’écrivais ces lignes, je n’avais pas encore lu L’esprit de l’aïkido de Kisshomaru Ueshiba et j’ai fini par me rendre compte que ce que je décris dans cet article, avec mes propres mots, est l’une des multiples facettes du concept de « ki ». Pour compléter cet article, je devrais me concentrer et faire un travail de recherche plutôt colossal sur le ki. C’est un travail important et intimidant qui me demandera beaucoup de réflexion pour le présenter de manière à le rendre abordable sans tomber dans des explications trop mystiques ou ésotériques, étant donné que je connais des aïkidokas qui ne croient pas vraiment en cette histoire de « ki ».

[v] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wing_chun

[vi] https://www.youtube.com/watch?v=OQ7e-8yKfI4

Signification du Yin et du Yang

Signification du Yin et du Yang

 

Omniprésent sur les vêtements, les tatouages et illustrations diverses et variées, le Taï Chi (le vrai nom du symbole, le Yin et le Yang étant le nom des deux énergies que celui-ci referme.) est connu de tous, mais sa signification n’en est pas moins connue pour autant par la très grande majorité des gens. Symbole central dans le Tao, il est à l’origine de toute une métaphysique totalement différente de celle dans laquelle, nous, occidentaux, baignons. Vous vous êtes toujours demandé ce qu’il signifiait ? Voici ce qu’il représente.

 

Le Yin

Le Yin est l’énergie qui part du Ciel et descend vers la Terre. Elle est donc l’énergie légère, éparpillée, inclusive, féminine, froide, passive, elle est celle qui prend la forme des choses et s’adapte aux choses.

Le Yang

                Le Yang est l’énergie qui part de la Terre et monte vers le Ciel. Elle est donc l’énergie condensée,  lourde, exclusive, masculine, chaude, active, elle est celle qui impose sa forme et implique qu’on s’y adapte.

L’Univers régi par deux énergies

                Tandis qu’en Occident, d’aucuns diraient que le Taï Chi symbolise la cohabitation entre le bien et le mal (comme j’ai pu parfois l’entendre), il n’en est aucunement le cas. Car le bien et le mal sont des notions purement dualistes et supposent une opposition entre deux camps et le besoin de choisir l’un des deux. Le Tao n’est pas du tout une philosophie dualiste, elle prêche même plutôt « l’harmonie ». Pour le Tao, ces deux énergies régissent l’univers entier, son harmonie repose sur la présence du yin et du yang en même temps. Si bien et mal il y a, ils reposent autant dans une énergie que dans l’autre.  Tout comme le concept de « grand » a besoin de celui de « petit » pour exister, de même pour « chaud » et « froid », « fort » et « faible »… Le Yin et le Yang n’existent pas l’un sans l’autre. Le tout est donc de trouver l’équilibre entre ces deux énergies.

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Ainsi, si l’univers est en harmonie par une juste et égale présence de ces deux énergies, l’harmonie et la paix intérieure pour un individu reposent aussi sur un équilibre entre ces deux énergies. Un individu perdu ou perturbé peut être un individu qui exprime trop d’une de ces deux énergies sans prendre en compte l’existence de l’autre. D’une certaine manière, on peut distinguer clairement dans cette interprétation du monde deux types de déséquilibre de santé psychologiques : la personne «  névrosée » et la personne «  dépressive ».

La personne dépressive : Si l’on suit cette logique, l’individu dépressif est celui qui a trop de Yin en lui et pas assez de Yang. Ainsi, le dépressif est une personne qui a tendance à subir le monde et à s’y adapter bon gré, mal gré, sans trop chercher à se faire remarquer. Mais lorsque le monde lui impose une adaptation si grande qu’il s’en trouve perdu, le dépressif peut finir par trouver ce monde injuste ou douter de ses propres capacités. C’est à ce moment là, justement, qu’il devient dépressif. Ce qui a pour  conséquence de l’inhiber d’avantage et le faire tomber dans une passivité léthargique. Le dépressif y perd le peu de volonté qu’il avait et finit même par ne plus exprimer le moindre « vouloir vivre » dans un monde qui lui impose des adaptations qu’il ne parvient pas à mettre en place. Le dépressif oublie trop facilement qu’il a le droit lui aussi de s’imposer et d’exprimer sa volonté. C’en est même un besoin, puisqu’à force de ne pas exprimer sa volonté, elle finit simplement par disparaitre d’elle-même.

La personne névrosée : A son exact inverse, l’individu névrosé est celui qui exprime trop de yang et pas assez de yin. Tout comme le résumait si bien Pierre Desproges dans son sketch[i] : « Le névrosé sait pertinemment que deux et deux font quatre et ça le rend malade ». Le névrosé a souvent une idée bien claire de ce que doit être le monde et dans quel ordre il doit se trouver. Ainsi, chaque fois que l’état des choses ne correspond pas à ce qu’il devrait être, le névrosé exprime une colère et une rage qu’il estimera toujours légitime, sans se rendre compte que ces excès de colère sont parfois difficiles à vivre pour son entourage, qui ne sait jamais trop sur quel pied danser ou qui se retrouve contraint à l’inaction, de peur de faire les choses de travers ou de ne jamais être « à la hauteur ». Le névrosé n’admet pas qu’une chose puisse rester hors de contrôle, car ce n’est pas dans son ordre des choses. Par essence, le névrosé ne peut jamais être en paix avec lui-même, puisqu’il est constamment en lutte avec un monde qui ne correspond jamais à ses exigences.

La présence d’une telle idée en Occident

Il arrive parfois, quand on lit des blogs ou des pages internet sur les philosophies orientales, que les choses soient présentées de façon un peu idéalisées et que la philosophie orientale soit présentée comme supérieure, au détriment de valeurs occidentales, présentées comme moindre. Or, rien n’est plus faux. L’extrême Orient n’a pas le monopole des grandes découvertes sur soi, sur le corps et sur le fonctionnement intérieur. Bien qu’à un moment, je ne saurais dire avec précision le moment historique de ce tournant, la philosophie occidentale s’est d’avantage tournée vers les sciences et la  connaissance du monde et a négligé la question de la connaissance de soi. Néanmoins, elle ne possède pas moins de grandes philosophies qui se sont penchées sur les mêmes grandes questions que le Tao ou le bouddhisme.

Dans son « Manuel »[ii] , Epictète explique que nous pouvons ranger les phénomènes du monde en deux catégories distinctes : « Ce qui dépend de nous » et « ce qui ne dépend pas de nous ». Ce qui dépend de nous, nous devons le gérer à notre guise, mais de préférence en adéquation avec nos valeurs morales, de manière à être en harmonie et en paix avec soi. Mais ce qui ne dépend pas de nous, nous devons l’accepter comme tel et ne pas chercher à agir dessus ou  à en avoir le contrôle. Car il est dans la nature de ces choses là de justement être en dehors de notre contrôle. Chercher à en avoir le contrôle est donc aller contre la nature de cette chose et l’on ne peut qu’être voué à l’échec, donc la frustration, le regret et la rancœur, donc rompre notre propre paix intérieure.

Le Yin et le Yang en Aïkido

En règle générale, dans une situation de combat ou d’agression, le point de départ est donné par Uke (celui qui reçoit) qui se dirige vers son antagoniste pour exercer sur lui sa force (son yang). Le plus généralement, Tori (celui qui donne)[iii] à ce moment donné se crispe et, soit il ne parvient à sortir de cet état de crispation et subit pleinement le Yang de Uke, soit il se met à exprimer lui aussi son Yang et là l’harmonie est rompue, car deux Yang s’affrontent et c’est à celui qui exprimera le plus de Yang qui prendra le dessus. Dans un état de saturation complète d’expression de force et d’agressivité.

Mais comme son nom l’indique[iv], l’Aïkido propose une solution plus harmonieuse à ce genre de situation. Puisque l’Aïkido cherche la paix et l’harmonie, elle considère qu’il ne peut avoir de paix dans le monde, si chacun exprime en même temps son Yang, Yang contre Yang n’entraîne qu’une escalade de la violence et de l’incompréhension et à ne rendre toute communication possible qu’à travers la lutte. Donc, l’aïkido incite à renoncer à exprimer son Yang dans ce genre de situation, mais plutôt son Yin. Dans une telle situation, exprimer son Yin signifie accepter de ne pas avoir le contrôle sur la volonté de Uke, qui désire à ce moment là vous nuire, accepter le fait que notre sécurité et intégrité physique soient momentanément mises en danger et ne pas chercher à lutter contre cet état de fait, mais surtout renoncer à faire usage de sa propre force physique. En Tao, comme en Aïkido, c’est ce qu’on appelle le « relâchement ». Pendant que Uke exprime son Yang, Tori doit trouver l’espace nécessaire pour neutraliser le yang en créant un déséquilibre,  soit en exploitant l’élan causé par sa force, soit en appuyant ou pratiquant une torsion sur l’une de ses articulations (Mais sans jamais faire usage de sa force, l’articulation étant une partie extrêmement mobile du corps, il n’est pas du tout nécessaire de forcer pour la faire bouger. De plus, user de sa force nécessite une tension dans notre propre corps qui rend le mouvement ou la technique quasi-impossible à effectuer correctement). Une fois Uke neutralisé ou immobilisé, Tori peut exprimer son désir de ne pas se battre, son refus du recours à la violence et se montrer, s’il le faut, suffisamment dissuasif pour qu’Uke renonce à faire de nouveau usage de son Yang. De plus, la non-démonstration de force lors de l’affrontement devient un argument validant le réel refus du combat de Tori. Ainsi, l’Aïkido est sans doute l’un des seuls arts martiaux qui offre la possibilité de réintroduire la communication entre deux antagonistes, donc la compréhension.

[i] https://www.youtube.com/watch?v=j2xfWlpeSwY

[ii] Epictète était un esclave qui enseignait la philosophie stoïcienne. Il n’a jamais rien écrit. Ce que l’on sait de lui repose dans un recueil de textes appelé « Manuel d’Epictète », qui regroupe des notes prises par ses élèves lors de ses cours de philosophie.

[iii] En Aïkido, l’agresseur porte le nom de celui qui reçoit. Car l’aïkido étant un art de défense, l’agressé est « celui qui donne », car il est celui qui exprime son aïkido.

[iv] Ceci sera d’avantage expliqué dans l’article : « Notion de pacifisme en Aïkido »

Présentation

Lebensweg est un ensemble de réflexions et d’impressions partagées par un débutant, mais non moins passionné, en Aïkido.

Bonjour, je m’appelle David. Je vis actuellement dans une petite ville en Lorraine. Cette région ne m’a pas seulement vu naître et grandir. Elle est aussi celle où j’ai fait mes études de philosophie. A la fin de mes études, je me suis un peu senti perdu, comme beaucoup d’anciens étudiants d’ailleurs. Il est toujours un peu difficile de trouver sa voie et sa place dans un monde professionnel de plus en plus inaccessible. Après quelques expériences et quelques réflexions sur ce qui me passionnait. Je me suis rendu compte que j’étais un obsédé de la transmission. Je ressens constamment le besoin de transmettre aux autres ce que j’apprends, ce qui me fait vibrer…

Passionné avant tout de cinéma, de musique, d’histoires (mais aussi avec un grand H) en tout genre, de science fiction et d’Heroic fantasy, j’ai aussi, au cours de quelques expériences personnelles et intimes, développé un intérêt particulier pour certains courants spirituels et leur philosophie. D’abord très intéressé par les paganismes européens, je n’accordais guère d’importance aux philosophies orientales. Jusqu’au jour, où une amie, qui partage avec moi cet intérêt pour la spiritualité, se mette à me parler du Tao et m’affirme que je suis taoïste sans le savoir. C’est alors que commencent mes recherches sur le sujet, en parallèle avec une résolution que j’avais prise. En effet, cela faisait quelques temps, que j’étais intrigué et de plus en plus attiré par l’aïkido, son histoire et ce qu’il représente dans le monde des arts martiaux. C’est à ce moment que j’ai découvert que le “do” que l’on trouve dans les mots: “Judo”, “Aïkido”, “Taekwondo”, “Bushido”… Sont la transcription moderne en chinois, japonais et coréen, du mot “Tao”, qui signifie: “la voie”.

En septembre 2015, à l’occasion de la rentrée scolaire et de l’ouverture des saisons sportives, j’ai le temps, l’argent et la détermination pour aller m’inscrire dans un club d’aïkido. A l’heure actuelle, c’est donc en tant que débutant que je vais vous parler d’aïkido et de philosophie du Tao. Loin de moi l’idée de passer pour un spécialiste du sujet, ce blog est avant tout un carnet de route où je référencerai mes récentes découvertes et réflexions. Vos critiques et suggestions sont évidemment les bienvenues, pour me réorienter en cas d’incompréhension et de contresens. Comme je le disais plus haut, c’est mon obsession de la transmission qui me pousse à publier ce blog et à partager avec vous cet intérêt sans cesse grandissant pour cette philosophie de vie avec laquelle je me sens de plus en plus proche. Une autre raison qui me pousse à écrire ceci, c’est que malgré le peu de leçons que j’ai tirées pour le moment de tout cela, je me sens déjà disposer d’atouts majeurs qui peuvent réellement aider à gérer le stress et les frustrations du quotidien. Plus le temps passe, plus je suis convaincu qu’une certaine hygiène de vie et une certaine manière de travailler sur notre perception du monde nous aide considérablement à gérer un ensemble de problèmes et de frustrations qui peuvent paraître jusque là insurmontables.

Ce blog est donc là pour ça : partager avec vous ces expériences, découvertes et surtout, cette passion grandissante qui a l’air de changer tellement de choses dans ma propre vie.


Pourquoi « Lebensweg » ?

 

Pour les non-germanophones, Lebensweg est le mot allemand qui désigne « biographie ». Mais le mot allemand, contrairement au français, a une signification très particulière. Tandis que le mot français, s’inspirant du grec : « Bios » (la Vie) et « Grapô » (l’écriture), ne renvoie qu’à l’acte d’écriture, le mot allemand : « Leben » (La Vie) et Weg (la voie, le chemin), semble avoir une toute autre préoccupation, celui de prendre en compte le chemin, en d’autres termes, le mouvement même d’une existence, ce même mouvement semble même plutôt figé dans le mot français. De plus et même avant tout, Weg signifie littéralement la même chose que le « Tao » et voulant trouver un nom faisant justement référence à la « Voie », ce nom me paraissait tout indiqué.